On n’ose penser ce que donnerait en France une Assemblée Nationale où, comme le CDU d'Angela Merkel en Allemagne, un parti aurait manqué la majorité à cinq sièges près !
Depuis le 22 septembre dernier, date des élections au Parlement allemand, que s’est-il passé ? Tout d’abord, les partis se sont rencontrés. Le CDU et le PSD se sont mis sur le métier pour démêler le possible de l’impossible. Un accord s’étant dégagé, les militants du parti social-démocrate ont eu à se prononcer pour le programme négocié par les deux partis. Ils ont voté pour samedi dernier. La chancelière doit être officiellement réélue ce mardi au Bundestag, son gouvernement comptera huit ministres du CDU et six pour le SPD. Angela Merkel va ainsi nommer Sigmar Gabriel, le leader du SPD, vice-chancelier, ministre de l'Economie et de l'Energie. Côté CDU, Wolfgang Schäuble sera reconduit au ministère des Finances.
Voilà une bien belle leçon de démocratie ! Il aura fallu près de trois mois pour arriver à un accord. Le texte, qui ne comporte aucune nouvelle taxe ou dette, prévoit notamment l'amélioration des petites retraites et la possibilité de partir à 63 ans, au lieu de 67, pour les salariés ayant cotisé quarante-cinq ans. Il comporte surtout l'instauration d'un salaire minimum, cheval de bataille du SPD pendant la campagne. Appliqué à partir de 2017, ce smic allemand serait de 8,50 euros et concernerait 17% des salariés, selon l'institut économique DIW. « Je n'y crois pas, mais je vais le faire quand même », a déclaré, pragmatique, la chancelière allemande. Le volet énergie nouvelle n’est pas non plus oublié. Le coût brut des propositions se monterait à environ 50 milliards d'euros pour la législature, mais les négociateurs ayant d'emblée exclu toute augmentation d'impôts et se faisant fort de parvenir à « un budget structurellement équilibré à partir de 2014 », les dépenses devraient être limitées à 23 milliards.
Un accord difficilement envisageable en France
On a peine à imaginer un tel accord politique en France. Si un parti voyait sa majorité lui échapper à quelques voix près, il chercherait à tout prix à séduire quelques députés, au moyen de quelques places dans des commissions, de quelques amendements de circonstance, voir même de menus crédits, de ceux qui font tellement plaisir aux habitants de leurs lointaines circonscriptions. Enfin je dis ça, ce n’est que pure médisance, d’autant plus qu’entre l’article 49-3 qui autorise le Premier ministre à engager devant l'Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement – pas certain que les députés goûteraient de retourner rapidement devant leurs électeurs – et à l’extrême, la possibilité donnée au Gouvernement de procéder par ordonnance, il y a des marges de manœuvre !
L’accord politique en Allemagne n’est pas non plus un fatras de 60 ou 101 propositions écrites au doigt mouillé, mais un texte limité et responsable qu’il aura fallu trois mois pour négocier. Que ne lirait-on pas dans les journaux en France, si une telle négociation avait lieu. Incurie diraient les uns, manipulation crieraient les autres!
La négociation raisonnée fait partie de la culture allemande. Chaque année, il y a obligation de négocier les augmentations de salaire. Ce sont les employeurs et les syndicats qui décident des salaires en toute indépendance, l’Etat n’intervenant qu’en dernier recours. Comparé avec la France, ce modèle réduit la confrontation sociale et facilite l'ajustement économique. Il n’est pas parfait, la preuve en est avec l’irruption du salaire minimum dans le débat politique. Enfin les politiques allemands respectent la parole donnée. En témoigne la fin toujours programmée des centrales nucléaires. Redoutable négociatrice en interne, il est probable qu’Angela Merkel demeurera intransigeante en matière de surveillance bancaire ou financière, n’étant toujours pas d’accord pour financer les mauvais payeurs. On l’aura compris: elle a son pays derrière elle.
Antoine Laray est journaliste économique et financier