France Culture

Tssitssi, de Claire Castillon

Publié le  Par Pascal Hébert

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Jean-François Paga

Claire Castillon est surprenante ! Elle nous étonne avec chacun de ses romans. Discrètement, avec le bout de la plume, elle nous raconte des histoires de haut vol. Avec un style unique, elle nous prend par la main pour nous emmener faire un petit tour dans son imaginaire avant de nous ramener à bon port. Et nous, simples lecteurs, restons hypnotisés, sous l’effet de la magie des mots de Claire Castillon. "Tssitssi", son dernier roman, n’échappe pas à la règle.

Merveilleusement bien construit, ce livre nous plonge dans la vie de nos ados du 21e siècle. Hélène a 16 ans. Une femme, une enfant, pourrait-on écrire. A cet âge, on a soif de tout et surtout de ce que l‘on n’a pas. C’est aussi l’âge où l’on refuse le monde organisé. L’âge où l’on veut vivre ses caprices d’enfant et ses désirs exigeants. Et des désirs, Hélène n’en manque pas. Comme la majorité des jeunes de son âge, elle est sur Instagram sous le pseudo de Tssitssi. En pleine révolution, l’adolescente cherche à s’extraire de son milieu et à gagner de l’argent facilement. Attirée par des vêtements, sacs ou chaussures de luxe, elle n’hésite pas à se transformer en belle de nuit pour accompagner des vieux messieurs en quête de l’éternelle jeunesse. Conseillée et prise en main par son amie Poppée, Tssitssi enchaîne les rendez-vous plus ou moins glauques. Au passage, Poppée explique comment bien se comporter en gentille fille avec ses « chougars ». Il y a ceux qui veulent une simple présence et ceux bien sûr qui veulent aller plus loin. On suit Tssitssi dans les méandres de ses aventures et de ses astuces pour être parfois ailleurs avec ses clients.


Dans la vie de Tssitssi, il y a son père qui occupe une grande place et puis il y a celle qu’elle appelle « la mère des jumeaux », et une psy, Niksarlian.


Au fil de la lecture, on bifurque vers une réalité mettant en lumière un drame familial. Et soudain, tout éclaire l’existence de cette adolescente bien cabossée par la vie. In fine, Claire Castillon nous donne les clés de cette histoire surprenante à plus d’un titre. Autour de Tssitssi frissonne une vérité sortie des ténèbres. Dans son carnet, Hélène écrit : « Tu murmures à mon oreille, comme les cigales qu’on espère toute l’année, ce Tssitssitssitssitssitssi adoré que j’avais oublié ». C’est terminé, Claire Castillon referme son stylo. Le charme des mots et de l’univers de la romancière continue de nous imprégner jusqu’au plus profond de notre âme.


Pascal Hébert
"Tssitssi", de Claire Castillon. Éditions Gallimard. 182 pages. 18,50 €.

 



Interview de Claire Castillon

«Tssitssi veut avoir, parce que ça évite d’être. Etre, ça fait mal ; donner c’est risquer ; aimer, n’en parlons pas»


- Claire, le monde de l’adolescence de ce siècle semble bien t’inspirer. Comment perçois-tu nos ados ?


Disons que l’ado que j’hébergeais, - je veux dire en moi -, en écrivant ce roman, m’a inspirée par son vide. Je la voulais plastique, jusqu’au raisonnement. Et puis il n’y a rien à faire, l’être le plus creux, quand on s’y attarde, quand on écrit dessus, révèle quelque chose. Et là, sa faille m’a transportée. J’ai dû enquêter sur elle pour trouver pourquoi son vide était si plein. Je ne sais pas qui sont "nos ados". Je sais en revanche que l’ado en moi a des aspirations, une sensibilité, une histoire, et donc de l’avenir.


- Quels sont les rêves de ces jeunes en devenir ?


Tssitssi veut des bottes Prada et un sac Gucci. Elle veut aussi une maison avec une baignoire carrée au milieu du salon et des pommes vertes qui brillent dans des vases. Elle veut avoir, parce que ça évite d’être. Être, ça fait mal, donner c’est risquer, aimer n’en parlons pas. Le papier glacé la rassure. Elle veut une carapace de matériel et donc une protection. Parce qu’elle est certaine que sa valeur va se mesurer au prix du sac à main qu’elle porte à son bras. Et puis on comprend que rêver à ça lui évite de cauchemarder en se souvenant du reste. -


Comment parviens-tu à entrer aussi bien dans la peau d’une ado de 16 ans comme ta Tssitssi?


J’entre de la même manière dans la peau d’un grabataire ou d’un chien. Un personnage n’est pas une robe ou un pantalon. C’est une sorte de puissance qui s’installe quelque part entre la tête et le corps et cette installation- cette cohabitation avec elle - sont pour moi le seul moyen d’offrir un personnage juste, dont on se dit -j’espère- qu’il n’est pas fabriqué, et bien réel. Le langage caricatural de Tssitssi m’a sans doute aidée à poser le personnage. J’allais dire à l’avaler.


- Tssitssi a déjà un regard cruel sur ceux qui l’entourent. Les mots qu’elle utilise ne sont pas tendres. Quel est le carburant de cette ado ?


Tssitssi est une machine. De ces machines qu’on devient quand l’humain en soi n’a pas la force de rester. Son verbe litanique, ses certitudes débiles, son mépris pour son père la font tenir debout. Il lui est impossible de vivre avec le drame qu'elle a traversé. Elle l'a depuis toujours refusé, peut-être effacé. On va se rendre compte que son carburant, le vrai, c’est la fiction.


- En découvrant cette jeune fille, on a l’impression que les sentiments sont bien enfouis. Est-ce un moyen pour elle de se protéger?


Elle a aboli toute idée de douceur. C’est la violence contre les autres, et contre elle, qui la tiennent vivante.


- Visiblement, vivant dans un milieu familial modeste, Tssitssi ne cesse de lorgner sur ce qu’apporte l’argent et notamment le luxe. L’argent et cette vie confortable semblent être le but ultime à atteindre ?

 


Voilà. Toujours cette idée terrible de la valeur de l’avoir, et non de l’être. Pourtant il y a Sissi dans son surnom, du moins on l'entend. Mais elle n'est plus capable d'avoir des rêves d'enfant.


- Et pour atteindre ce but, Tssitssi n’hésite pas à jouer avec son corps et le sexe tarifé. Comme si le sexe n’était qu’un simple instrument pour arriver à ses fins. C’est terrifiant, non ?


Vendre son corps pour gagner des chaussures Machin est en effet ne pas savoir qu’on a soi-même une valeur.

« A vrai dire je ne comprends pas où est passée la vie »


- Aujourd’hui, les jeunes doivent être "populaires" sur les réseaux sociaux. N’est-ce pas une menace pour leur équilibre mental ?


Pas seulement pour les jeunes ! Je suis terrifiée par ce que publient les gens sur les réseaux. Je ne comprends pas où est passée la vie profonde, la réflexion, la vie intime, la vie personnelle. A vrai dire, je ne comprends pas où est passée la vie.


- Tu évoques Instagram, y a t-il une vie en dehors des réseaux sociaux ?

Ah ah, en tout cas il y a la mienne.


- Tu braques les projecteurs sur ces hommes d’un certain âge qui ont besoin de ces jeunes filles. Qu’est-de que cela t’inspire ?


J’ai un mépris absolu pour les vieux porcs en général. Avec leur vieille peau, leur rire gras et tout leur être qui pendouille, ils se gavent, je ne dirais pas de pureté, mais ils se gavent, voilà. Les pauvres ne sont sans doute pas terminés. Ils cherchent la pièce manquante. Ils ont besoin d’un faire-valoir, d’une soumission. Je pense qu’un homme capable et sûr de lui n’a pas besoin d’une fiancée tarifée de trente ans de moins à qui il fait croire qu’il ne la touchera pas mais qui finit bien sûr plaquée au mur, mourant d’envie de l’appeler papa pour se faire croire à de l’amour, quand il abuse d'elle.


Propos recueillis par Pascal Hébert







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