"Les droits civils universels étaient jusqu'ici étroitement associés à l'Europe et à son histoire. Si elle échoue sur la question des réfugiés, ce lien étroit se briserait et ce ne serait plus l'Europe telle que nous nous la représentons".
La mise en garde ne vient pas de François Hollande, président du "pays des Droits de l'Homme", mais de la chancelière allemande plus connue des Européens pour son intransigeance en matière économique et financière. Que n'a-t-on pas dit et écrit sur Angela Merkel ! Que les Grecs, poussés à bout, ne la portent pas dans leur cœur (jusqu'à l'affubler, parfois, des moustaches d'Adolf Hitler), on peut le comprendre. Mais dans d'autres pays et en France surtout, certains responsables politiques ne se sont pas privés de salir son image ou de crier après son prétendu enfer. Les Montebourg ou Mélenchon, par exemple. Il est même devenu pratique d'accuser la chancelière de nos propres maux et faiblesses. Avant, Bruxelles était la cible favorite de nos critiques. Aujourd'hui, c'est Berlin (mais gardons Bruxelles dans un tiroir, ça peut encore servir !).
Une leçon d'allemand
Et voilà que cette dame nous fait une leçon d'Europe. Non pas LA leçon. Cela ne correspond pas à sa personnalité. Elle n'est pas montée lundi sur un piédestal, mais, simplement, fermement, dans une conférence de presse, elle a rappelé la nécessité pour les différents pays européens de montrer leur solidarité, de respecter "la dignité d'autres hommes", d'harmoniser leurs efforts. La chancelière allemande, dans son appel à la morale, ne pouvait pas faire l'impasse sur la dimension politique de ce mauvais feuilleton :"Si nous ne réussissons pas à répartir de manière juste les réfugiés, il est évident que la question de l'espace Schengen sera à l'ordre du jour".
Pour autant, aux yeux de beaucoup, Angela Merkel n'apparaîtra pas comme un ange. L'Allemagne a besoin de main d'œuvre vu sa démographie déclinante. Ces réfugiés sont pour elle une bonne aubaine. Cela lui permettra de mettre un peu de Syriens entre ses Turcs, dira-t-on. C'est peut-être vrai, mais il ne faut pas oublier le revers de la médaille : l'extrême droite, inspirée d'un néonazisme avoué, s'agite en tous lieux, détruit des foyers d'accueil, et une partie de l'opinion allemande ne voit pas d'un bon œil l'arrivée de migrants venant de pays musulmans. La chancelière devra faire preuve de courage, de détermination. Est-on sûr que la France, engoncée dans sa peur du FN, aura la même volonté de prendre toute sa part du problème ? Sans parler des réactions policières, voire militaires, qui se font jour dans plusieurs pays de l'ex-Europe de l'Est. Des pays qui ont appelé à la… solidarité des membres fondateurs de l'U.E. pour améliorer leurs infrastructures, dynamiser leur économie, élever leur niveau social, etc. Il ne faut pas avoir la mémoire courte, Messieurs de Hongrie, de Tchéquie, de Slovaquie !
Gueule de monstre
Au-delà, c'est tout l'édifice de la construction européenne qui tremble sur ses bases. Sur le socle du libéralisme économique, l'Europe est incapable d'harmoniser les politiques fiscales, sociales qui lui permettraient d'échapper aux pièges qu'elle se tend à elle-même ! Elle a grossi si vite (et sans le feu vert démocratique des peuples !) qu'elle a une gueule de monstre. Il n'y a pas davantage de politique étrangère européenne digne de ce nom. La politique de défense européenne, après avoir soulevé l'intérêt, est devenue une caricature. Les Français sont au Mali et ailleurs en Afrique. Ils prennent tous les risques. Les autres envoient des avions avec des colis de nourriture et des médicaments. Ils font de la logistique militaire !
Comment alors s'étonner de la division de l'Europe face au drame humain qui surgit ! C'est le chacun pour soi : les nationalismes vont monter au fur et à mesure que gonflera le flux des migrants. S'il n'y a pas d'autres Angela et un sursaut de toute la communauté, on vivra en direct l'effondrement de l'idéal porté par Jean Monnet et Robert Schuman au sortir d'une guerre où toutes sortes de colonnes de réfugiés ont sillonné l'Europe.
Patrick Béguier est journaliste politique et écrivain