Henri Allouche, archéologue de son propre passé
Publié le Par Paris Dépêches
Trouver les dernières pièces et terminer le puzzle… Depuis une dizaine d’années, Henri Allouche cherche à comprendre : comment a-t-il échappé à la Déportation en 1942, à deux ans ? Pourquoi n’a-t-il pas accompagné sa mère, son frère et sa sœur vers le camp d’extermination de Sobibor ? Pourquoi n’a-t-il aucun souvenir de la pension pour enfants israélites de Villejuif (actuel 94) qu’il a fréquentée en 1947, à l’âge de 7 ans ? Des questions trouvent leurs réponses, mais des zones d’ombre persistent.
"Je ne sais pas pourquoi j’ai laissé ça de côté pendant tant d’années… Je suis resté insouciant longtemps, il faut croire". A presque 70 ans, Henri Allouche, retraité de Seine-et-Marne, rattrape le temps, ces années de silence, d’abstinence mémorielle. "La Shoah… Avec mon père, on n’en parlait jamais. Il y avait un tabou dans les familles, dans la société. Même à l’école, à l’adolescence je ne disais pas que j’étais juif". En 2000, au moment de la retraite et du temps libre, Henri interrompt ce flot d’oubli et décide de mener des recherches sur son passé. Il faut trier, lier les événements entre eux et surtout obtenir des documents "inédits" qui permettront de reconstituer le fil d’une histoire personnelle marquée par le traumatisme.
Une mère et ses enfants
"J’ai été retiré des bras de ma mère, j’avais deux ans. Vous vous rendez compte ?" Quand Henri Allouche parle de celle qu’il n’a jamais vraiment connu, les mots se taisent, étouffent. Puis le récit se fait précis, le puzzle presque parfait : "En 1942, j’avais deux ans, j’étais le dernier. Mes parents, mon frère Georges (6 ans), Colette (4 ans) ma sœur et moi, habitions rue du Roi-de-Sicile, au 37, dans le Marais à Paris. Mon père travaillait chez Bailly, les chaussures. Un jour, un vol est constaté dans l’usine… Le patron conseille vivement à mon père de fuir, parce que juif." L’homme quitte donc sa famille, sa vie, pour Lyon, en zone libre. Alors que l’Europe s’enfonce dans les ombres du 20ème siècle, madame Allouche reste à Paris avec ses enfants. "Au fil des recherches, j’ai découvert que nous avons été arrêtés, ma mère et nous, le 7 octobre 1942, à Orthez dans les Pyrénées, à la limite de la ligne de démarcation qui séparait la zone libre du reste de la France". Pourquoi Orthez ? La famille tentait-elle de rejoindre l’Espagne ou l’Afrique du nord, pays d’origine des Allouches ? "On ne sait pas bien. Je n’arrive pas à trouver d’éléments qui pourraient expliquer cette fuite à Orthez". Première zone d’ombre.
"Le 20 novembre, je tombe malade"
"Au moment du procès Papon, j’ai réuni des documents qui attestent qu’après l’arrestation dans les Pyrénées, nous avons rejoint le camp de Mérignac, près de Bordeaux, le 10 octobre… Papon était à la préfecture de Gironde à cette époque. Soixante ans après, il y a quelques années, il a retrouvé sa maison et sa ville natale, Gretz-Armainvilliers, frontalière d’Ozoir-la-Ferrière, où j’habite. Coïncidence." Deux semaines après l’arrivée à Mérignac, le destin semble basculer : les Allouche prennent place dans un train à Saint-Jean (gare de Bordeaux). Ce "quatrième convoi de la mort" doit mener les juifs qui s’y trouvent vers Drancy d’abord, puis destination Auschwitz. "J’étais le plus jeune de ce train" remarque Henri en fixant la copie d'un document d’époque l’attestant. "Finalement, on ne va pas à Auschwitz. On reste tous les quatre à Drancy et le 20 novembre, je tombe malade : une hernie ombilicale. Ma mère signe un papier pour que je sois opéré. Je quitte alors Drancy pour l’hôpital Rothschild. Je ne reverrai plus jamais ma mère, ma sœur et mon frère qui, le 25 mars 1943, montent dans le convoi numéro 53. Arrivés au camp de Sobibor le 30 mars, ils sont tués le même jour".
Le passé par flashs
Deuxième zone d’ombre : après son opération et grâce à la bonté de l’assistante sociale de Rothschild, le petit Henri quitte Paris le 15 décembre 1942 pour "la campagne. Je me souviens vaguement d’une maison et d’une cabane au fond du jardin… Je me souviens surtout de la peur que m’inspiraient ces quatre planches plongées dans la nuit et le froid." Quelle campagne ? Quelle maison ? Quelle famille d’accueil ? "J’ai tellement été trimbalé, que je n’arrive pas à me souvenir de tout" s’emporte Henri en imaginant cet enfant perdu. Seule certitude : après l’hôpital, le garçonnet a été confié à une maison de l’UGIF, l’Union générale des israélites de France. "Oui, mais laquelle ?". "On a retrouvé un document de l’UGIF de Lyon faisant mention d’un Allouche dans ces années là. Il n’y a pas de prénom. Je pense que c’est de moi dont il s’agit, mais sans certitude." Les années passent, sans laisser de traces apparentes et Henri se retrouve en 1945 à Lyon, avec son père. "Là, je commence à avoir des souvenirs. J’ai cinq ans." Henri s’enthousiasme comme un amnésique qui recouvre le fil. "Cette même année, on revient à Paris. Mon père s'installe comme marchand des quatre saisons. Il commence le boulot à quatre heures du matin, aux Halles. Il ne peut pas s’occuper de moi. Ainsi, le 22 février 1947, il me place dans une pension pour juifs créée par une association américaine, à Villejuif." Les documents l’attestent : cette association s’appelait Children Rescue ou Waad Hatzala. L'institution villejuifoise était jumelée avec celle de Fublaines (Seine-et-Marne) où les enfants passaient quelques jours en été. Mais là encore, alors qu’Henri a sept ans, il n’emmagasine pas de souvenirs. "Rien. Je ne me rappelle de rien. En juin dernier, je suis allé voir à Villejuif si je retrouvais le bâtiment. Je l’ai découvert au 115 avenue de la République, il était encore debout… Mais je n’ai aucun souvenir des lieux ni des gens. Pourtant j’y ai appris l’hébreu." Henri a été scolarisé à Villejuif, il y a vécu plusieurs années… Pourquoi ce black-out ? La Yeshiva University de New-York a pourtant trouvé une photo d’Henri (ci-dessus) prise à l’époque dans cette pension villejuifoise. Document précieux mais qui n’a malheureusement pas réveillé les images du passé.
Un témoignage pour l'avenir
Si Henri pouvait entrer en contact avec des enfants pensionnaires à Villejuif à cette époque… Et cette maison de campagne avec sa glaciale cabane ? Où est-elle ? Si vous souhaitez contacter Henri, il suffit d'envoyer un mail à la rubrique contact de Paris dépêches. "Je veux continuer à trouver des réponses parce que je vais écrire un document pour mes petits-enfants. Vous avez vu sur la télé ? C’est toute ma famille, les enfants, les petits-enfants… On est nombreux".
Photographie de classe datant d'avant guerre. L'année n'est pas précisée. D'après Henri, elle a été prise à l'école de la rue François-Miron, dans le quartier du Marais (4ème arr.) où Georges, le frère d'Henri, était scolarisé. Au centre de la photographie, devant la maîtresse : Georges... La petite fille à sa droite, est peut-être Colette, la sœur. Henri n'en est pas certain, car Colette n'allait pas à l'école rue François-Miron mais rue du Figuier (4ème arr.). Quelques années après la prise de vue, tous les enfants de cette photographie ont certainement disparu, victimes de la Shoah.
Texte : Sylvain Jedrezak
Photographies : © Collection personnelle Henri Allouche
LPS
10/11/2009 18:40
C'est vraiment dur le passé.