Les partis se mobilisent en Seine-Saint-Denis.
Publié le Par Jennifer Declémy et Julie Catroux
Enquête sur le vote en Seine-Saint-Denis (1) : à la veille du premier tour de l'élection présidentielle, comment les quatre principaux candidats ont-ils fait campagne dans un des départements les plus abstentionnistes de France ?
Département de France particulièrement touché par l’abstention, la Seine-Saint-Denis aura été peu visité durant cette campagne présidentielle par les principaux candidats à l’élection. Fort d’un taux de chômage d’environ 17%, mais se caractérisant néanmoins par un certain dynamisme économique et industriel, ce département de l’Ile-de-France est en réalité un territoire en pleine mutation industrielle, qui pourrait se débarrasser dans les prochaines années, si on lui en donne les moyens, de l’image de pauvreté et de misère sociale qui lui colle à la peau. Alors qu’un tiers de ses habitants aujourd’hui est d’origine immigrée, la Seine-Saint-Denis concentre un nombre élevé de quartiers populaires dit « banlieues » qui vivent plus difficilement que le reste de la population. Et si les principaux candidats à l’élection n’auront que très peu abordés ces thématiques dans la campagne, leurs partis, sur le terrain, auront tenté de mobiliser les électeurs par toutes sortes d’opérations militantes, confirmant ou infirmant de fait certaines réalités politiques du département.
L’UMP en Seine-Saint-Denis : une opposition militante
Par Julie Catroux.
Les candidats à la présidentielle française n’affichent que peu d’intérêt pour les banlieues, qui cumulent pourtant des problèmes d’emploi, de pauvreté, d’éducation et de sécurité. Loin de faire des difficultés en zones urbaines sensibles une question prioritaire, comme ce fut le cas lors de la campagne de 2007, le thème des banlieues est tombé dans l’oubli et les populations des cités, comme en Seine-Saint-Denis se sentent abandonnés. Le constat est amer : l’amélioration de la situation dans les banlieues n’arrivait que dernière parmi les douze enjeux prioritaires des Français pour les mois à venir. Comment expliquer ce désintéressement ? « La crise est passée par là », explique Henri Rey, directeur de recherche au Cevipof, Centre de recherches politiques de Sciences Po, pour justifier le revirement par rapport à 2007. « Il y a cinq ans, la campagne était focalisée sur l’immigration et la sécurité. Aujourd’hui, vue la situation économique, il apparaît logique que les Français soient plus préoccupés par l’emploi, et surtout l’emploi des jeunes. Les candidats aussi, ont donc logiquement réévalué leur priorité » déclare Henri Rey.
Cheval de bataille pour Nicolas Sarkozy en 2005, alors ministre de l’Intérieur, les banlieues semblent avoir disparu de sa campagne présidentielle. Après avoir été l’investigateur du Plan de rénovation urbain, mis en place sous l’égide de Jean-Louis Borloo, le Président de la République a investi de 40 milliards d’euros et ce jusqu’en 2013, dans 460 quartiers. Mais son bilan reste mitigé aux yeux des habitants des quartiers défavorisés, avec le « Plan Marshall » qui a été enterré en même temps que le départ du gouvernement en novembre 2010 de l’ex-secrétaire d’Etat de la ville, Fadela Amara. Même si Nicolas Sarkozy ne suscite guère d’enthousiasme car personne n’a tourné la page du « Karcher » et des « racailles » après les émeutes de 2005, ses propositions pour faire évoluer ces quartiers lui ont permis de remporter la course à l’Elysée il y a cinq ans.
Eric Raoult, maire de Raincy et député de la 12ème circonscription de Seine-Saint-Denis
De 1988 à 2002, aucune circonscription du département de la Seine-Saint-Denis n’était aux mains d’un député UMP mais en 2002, trois circonscriptions électorales sur treize ont été prises d’assaut par le parti de la majorité. Cette apparition de l’UMP dans le département au détriment du Parti Communiste suscite l’interrogation. Du côté des communes, l’UMP ne perd qu’une seule place en 2008 lors des élections municipales : sur 40 communes, le parti majoritaire compte 11 maires UMP contre 10 en 2008. La présence de l’UMP en Seine-Saint-Denis ne semble pas, étrangement, refléter l’opinion commune et pourtant « le parti est la principale force d’opposition en Seine-Saint-Denis. L’UMP compte plus de 8000 militants dans le département» annonce fièrement Eric Raoult, maire de Raincy et député de la 12ème circonscription. A la Courneuve, la colère a fait place à l’indifférence. Chômage massif, trafic de drogues, explosion des loyers est le lot quotidien des habitants des quartiers. « Ici, des dernières années, il y a eu 7 morts dans des règlements de compte entre dealers » dénonce Rachid, locataire à la cité des 4000. La tranquillité que leur avait promis Nicolas Sarkozy n’est qu’une promesse de plus. La population semble désabusée et la campagne présidentielle les indiffère presque. Ils parlent plus volontiers de leurs difficultés quotidiennes et particulièrement du chômage qui sévit sur place. « Ici, un quart de la population active est sans travail, une proportion qui monte à 35% chez les jeunes » résume Rachid. Le président-candidat ne semble pas faire l’unanimité, surtout chez les jeunes «tout le monde sait bien que c’est un président qui est tourné vers les riches. Il ne nous concerne pas » explique Elodie 20 ans. Mais cette indifférence, notamment des jeunes, vis à vis de la politique est inquiétante. Ce désintéressement est source d’une abstention massive.
L’abstention est un réel fléau en Seine-Saint-Denis qui touche 50% de la population, alors comment l’UMP lutte contre ce mal départemental ? Le parti majoritaire est un parti qui a des moyens. A l’opposé des plus petits partis qui suscitent parfois l’admiration de par leur détermination et leur engagement, le parti majoritaire est riche. Cette richesse lui donne la possibilité de mettre en place des actions militantes fortes. Les simples réunions dans les salles communales, ce n’est pas assez pour l’UMP. Le parti voit plus grand. Fin mars, l’opération « 72 heures pour la France Forte » a été lancée dans l’hexagone. En Seine-Saint-Denis, six parlementaires, élus et sympathisants ont arpenté les rues du département et 1000 militants étaient prêts à glorifier leur candidat et à distribuer 130 000 tracts aux endroits stratégiques. Mais cette mobilisation ne s’arrête pas là. Un pique nique pour la « France Forte » a été organisé à Aubervilliers et à Pantin, ainsi que des « Réunions d’appartements ». Le principe est simple : aller à la rencontre des habitants, directement à leur domicile, dans le but de parler de la vie politique et citoyenne. « Contrairement au Front National que nous voyons peu, nous sommes très présents sur le terrain et très mobiles depuis un mois : tracts, affiches, porte à porte, réunions d’explication ainsi que la caravane permettent d’aller à la rencontre des citoyens », affirme Eric Raoult avant d’admettre que « les bras et doigts d’honneur sont des choses courantes mais on rencontre aussi le V de la victoire ». Contrairement au président, les élus se déplacent à l’instar de Rachida Dati, en visite à Clichy sous Bois le 4 avril. Mais cette présence des élus locaux a t-elle pour but de cacher l’absence de Nicolas Sarkozy dans les banlieues ?
Nicolas Sarkozy en visite à Drancy, en Seine-Saint-Denis, le 10 avril.
« Les banlieues ce n’est pas sa tasse de thé. Ce n’est pas un môme de banlieue mais il a tout fait pour les faire évoluer » avoue avec une certaine franchise le maire de Raincy. Vivement critiquée, la visite du président-candidat à Drancy a été expéditive. Emboitant le pas à la tournée en banlieue de François Hollande, le candidat UMP s’est rendu en Seine-Saint-Denis dans la ville d’un de ses partisans, le député Jean-Christophe Lagarde qui fait partie de l’équipe du candidat. Une visite éclaire gardée secrète : les journalistes n’ont été prévenus qu’au tout dernier moment. Tandis que le candidat socialiste prend régulièrement de bains de foule, Nicolas Sarkozy reste prudent. Après les agressions verbales et physiques lors de sa visite à Bayonne, le président privilégie sa sécurité. Certains affirment que le président de la république se mêle peu à la population pour une raison de sécurité. Peu apprécié en général dans les quartiers populaires, la garde rapprochée du président-candidat ne le lâche pas d’une semelle. Cette peur « des échauffourées » peut expliquer le choix de la ville de Drancy. Commune de droite, les citoyens sont moins réfractaires à la venue du président et le quartier est moins dangereux que d’autres banlieues. « On n'est pas des méchants, nous, on n'est pas des racailles, ici c'est pas 'les 3000 » (la cité des 3000, à Aulnays-sous-Bois) affirment quelques jeunes qui attendent le président. Ne manquant pas de rabaisser son principal opposant, Nicolas Sarkozy s’est exprimé sur le banlieue tour de son adversaire socialiste en affirmant « je suis très impliqué dans la vie des quartiers, depuis longtemps. J'ai vu que M. Hollande y avait passé deux jours. Mais il n'y a pas une seule idée qui soit sortie ».
Le programme de Nicolas Sarkozy est-il en mesure de répondre aux attentes des citoyens de la Seine-Saint-Denis ? S’il axe sa campagne sur la promesse d’un second volet du Plan de rénovation urbaine destiné à réhabiliter les quartiers difficiles, chiffré à 18 milliards d’euros, les thèmes de campagne sur les banlieues sont nettement moins présents qu’en 2007. Le candidat propose toutefois une prise en charge des enfants dont les parents ne pourraient pas leur offrir une aide estimant que les jeunes des cités sont handicapés par le manque de formation. Selon Eric Raoult, « même si les militants se rendent compte que la population n’est pas fan de Nicolas Sarkozy, ils n’ont pas non plus une soif de François Hollande. Et puis la gauche est très divisée entre François Hollande et Jean-Luc Mélenchon ». Mais le député semble confiant pour le résultat de l’élection présidentielle : « je pense que Nicolas Sarkozy peut faire mieux qu’en 2007 dans le département et au niveau national, l’élection risque de se jouer à la marge, comme en 1974 ». Malgré une confiance inébranlable des élus UMP envers Nicolas Sarkozy, ses propositions qui semblent un peu légères vont-elles réussir à séduire l’électorat de la Seine-Saint-Denis ? Réponse le 6 mai.
Les socialistes en Seine-Saint-Denis : tout se passe bien.
Par Jennifer Declémy.
Le département de Seine-Saint-Denis va-t-il voter en masse pour François Hollande en 2012, comme il a voté pour Ségolène Royal en 2007 ? Les élus socialistes du département se sont mobilisés comme jamais en tout cas, et s’avouent confiant à la veille du premier tour de l’élection présidentielle. Alors que leur candidat s’est rendu à de multiples reprises dans le 93, les remontées de terrain et témoignages des élus locaux indiquent que la campagne socialiste en Seine-Saint-Denis semble avoir plutôt bien fonctionné.
Il faut dire que le président du conseil général, Claude Bartolone, s’est beaucoup investi pour que le député de Corrèze vienne souvent sur son territoire, et aille à la rencontre des habitants, et ce dans les quartiers populaires notamment. En quatre mois, François Hollande est venu au moins huit fois dans le 93 qui l’avait d’ailleurs choisi, d’une courte tête, le 16 octobre 2011 lors de la primaire citoyenne, avec 51,74% des voix. Et à chaque visite, l’accueil des habitants a été bon, comme l’ont notamment montré les relais médiatiques.
En janvier il est ainsi venu parler de décrochage scolaire à Pierrefitte, le 08 mars, à l’occasion de la journée de la femme il s’est rendu à la maternité des Lilas, la minute de silence pour les victimes de Mohamed Mehra s’est déroulée dans une école de Seine-Saint-Denis et le week-end de Pâques, François Hollande avait passé une majeure partie de son temps en banlieue parisienne. Autant de déplacements qui font sourire Claude Bartolone, qui a beaucoup insisté pour que son candidat se rende si souvent sur son terrain, y voyant là le département idéal pour parler d’éducation, de solidarité ou d’emploi. « Je voulais qu’il consacre autant de temps à la thématique de la ville qu’il en avait passé au salon de l’Agriculture » a-t-il confié à l’Express. Une présence d’autant plus facile pour François Hollande que le 93 est composé de beaucoup de municipalités socialistes.
Claude Bartolone, président du Conseil général de Seine-Saint-Denis.
« Contrairement à 2007, cette élection est marquée par un climat très angoissé. Très difficile de prédire ce que sera le taux de participation, même si, sur le terrain, on sent un intérêt pour la campagne » confie également le président du conseil général au même magazine, et effectivement, le département de Seine-Saint-Denis s’est fait remarquer par un très fort taux d’abstention lors des dernières élections locales. D’où une campagne de mobilisation importante sur le terrain de la part des élus locaux et des militants, qui ont multiplié les opérations de porte-à-porte), les réunions de quartiers, mais qui ont aussi fait jouer leurs réseaux locaux tissés au fils des années, comme l’explique Bruno Lotti, maire-adjoint de Romainville.
Pour ce dernier, si la campagne de François Hollande a bien fonctionné dans le département de Seine-Saint-Denis, c’est principalement à cause de deux éléments : tout d’abord, le profond rejet de Nicolas Sarkozy qui y existe, avec des habitants qui se sont sentis « maltraités par un quinquennat d’injustices sociales (…) qui sont les premières victimes des choix politiques de la majorité présidentielle » explique-t-il, mais aussi par son style, qui n’est pas passé dans un département marqué par un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale. Le deuxième élément expliquant « la bonne campagne de notre candidat », c’est aussi pour Bruno Lotti le programme d’ensemble de François Hollande qui, avec des éléments tels que le contrat de génération et la création des 60 000 postes dans l’éducation nationale, parvient à susciter l’enthousiasme.
A côté de cet engagement du candidat, les militants sur le terrain ont tenté de mobiliser les électeurs pour les inciter à aller voter les 22 avril et 6 mai prochains. Ainsi, la caravane des jeunes socialistes est régulièrement passée par les quartiers populaires de Seine-Saint-Denis, par exemple au début du mois d’avril en compagnie d’Arnaud Montebour, qui a fait le tour de certains quartiers pour aller parler directement aux électeurs. Les réunions publiques, distribution de tracts et cérémonies de remises de cartes d’électeurs se sont également multipliés pour rappeler l’enjeu de cette élection et les raisons pour se déplacer dans l’isoloir.
L’abstention reste néanmoins un phénomène que redoute le Parti Socialiste dans ce département qui a pu se sentir abandonné pendant très longtemps de la classe politique, même si la campagne telle que celle menée par le candidat socialiste a permis d’élargir l’électorat de base de la gauche, estime le maire-adjoint de Romainville, qui sent le terrain très favorable à son champion. Les résultats des premiers et seconds tours permettront de voir si ce ressenti se vérifiera ou non.
Le FN tente de s’implanter en Seine-Saint-Denis.
Par Jennifer Declémy.
Les cantonales de 2011 avaient marqué une nette poussée du Front National dans le département, avec un score de près de 27,66% des voix, dans un département traditionnellement peu favorable à l’extrême droite et les militants présents sur ce territoire espèrent une poussée de leur championne lors du vote de dimanche prochain, quitte à même la voir en tête au premier tour de l’élection présidentielle. Pourtant, en Seine-Saint-Denis Marine Le Pen cumule les handicaps : aucun élu local pour l’accueillir lors de déplacements, assurer la mobilisation sur le terrain et organiser la campagne frontiste dans le 93, qui est en réalité assurée par un noyau dur d’une soixantaine de militants très impliqués dans la campagne présidentielle ; et un département dont le tiers des habitants sont d’origine immigrée, et donc beaucoup moins réceptifs à ses thèmes de campagnes et l’orthodoxie politique de son parti.
Pourtant, « le 93 est un laboratoire favorable pour le Front National. Il y a tous les terreaux qui peuvent être favorables à notre électorat » confie Laurent Gervais, « forte délinquance, islamisme, misère sociale…Depuis un an, on s’est mis au travail dans notre département, il peut donner des résultats importants » continue-t-il, et les militants pensent même que « Marine Le Pen sera dans le peloton des premiers candidats » prédit Gilles Clavel, responsable fédéral frontiste qui croit clairement que sa candidate arrivera au second tour dimanche.
Sur le terrain, les militants du FN organisent leur action, et ce notamment auprès de la « France des pavillons », ces habitants de Seine-Saint-Denis habitant hors des banlieues, des retraités, fonctionnaires et ouvriers qui sont plus enclins que les habitants des quartiers populaires à voter FN. D’ailleurs Marine Le Pen ne s’y trompe pas : le seul déplacement de campagne qu’elle effectua dans le 93, à l’occasion de la dégustation de la galette des rois au mois de janvier 2012, avait pour cible les classes moyennes, à qui elle s’adressa principalement dans son discours de plus d’une heure.
Beaucoup d’habitants des quartiers populaires craignent d’ailleurs le vote FN, et avaient mal accueilli ce déplacement de début d’année, même si de plus en plus d’habitants se disent séduits par le discours populiste de Marine Le Pen, sa dénonciation des riches et du « système ». D’ailleurs, sur le terrain Gilles Clavel estime que le discours de Marine Le Pen passe de mieux en mieux auprès de ces habitants dans la mesure où cette dernière serait « très sensible à ce qui se passe dans les banlieues ». Pourtant, la députée européenne elle-même a déclaré récemment que « tout le monde passe sa vie en banlieue et bien moi je ne vais pas en banlieue, je vais à la campagne parce que l’immense majorité de la population vit dans la ruralité. Les quartiers dans les banlieues ils ont tout : les caméras de télévision, l’argent de la politique de la ville qui se déverse, ce sont des milliards ». De fait, son discours politique et ses propositions ne concernent quasiment jamais les électeurs des quartiers populaires. Un paradoxe évident.
Le département est également difficile à conquérir pour le Front National dans la mesure où c’est un département historiquement à gauche, et communiste qui plus est. Un département donc où le Front de Gauche a des chances d’être devant Marine Le Pen, d’autant plus que, sur le terrain, les élus et militants communistes sont bien plus présents que les partisans frontistes et disposent donc de certains avantages militants non négligeables. Pourtant le Front National est décidé à s’implanter localement dans le 93, et douze candidats dans les douze circonscriptions seront présentés après le second tour de l’élection présidentielle, pour les prochaines législatives. Si le score de leur candidate correspond à leurs attentes le 22 avril prochain, Marine Le Pen pourrait réaliser de très bons scores aux prochaines élections locales, et installer progressivement un quadrillage frontiste de la Seine-Saint-Denis, quitte à même devenir l’adversaire principale de la gauche qui détient le département à tous les échelons locaux.
Le Front de Gauche en Seine-Saint-Denis : un département en reconquête.
Par Julie Catroux.
Bastion historique du PCF, la Seine-Saint-Denis a soutenu massivement Jean-Luc Mélenchon dans sa représentation du Front de Gauche, à l’élection présidentielle. Avec un score de 80% dans ce département, les délégués du PCF ont confiance en leur leader. Soutenant le choix de Jean-Luc Mélenchon, comme toute la direction, Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF a invité les militants à se rallier à ce qu’il considère comme « un choix fort, un choix audacieux, un choix courageux ». Mais rien n’était gagné. Il y a encore un an, la candidature de Jean-Luc Mélenchon suscitait une certaine méfiance dans les sections du Parti Communiste Français mais aujourd’hui « l’engouement des communistes pour le candidat est sans réserve » assure Pierre Laurent avant d’ajouter que « même les plus rétifs au départ sont enthousiasmés et mobilisés ».
Ayant fait ses armes au Parti Socialiste, il va jusqu’à briguer un poste au sein du gouvernement de Lionel Jospin et devenir ministre de l’Education professionnelle. S’il se qualifie lui-même de « socialiste républicain », son ambition ultime est d’ « être le rassembleur de toute la gauche » sur une ligne politique antilibérale, voire anticapitaliste, issue de la révolution par les urnes pour gouverner et surtout transformer la France. Mais une question reste en suspens : comment les militants communistes ont-ils perçu l’arrivée d’un « étranger », non issu de la formation communiste ? « Mélenchon a très bien été accueilli par le PCF car il a permis au peuple de gauche de retrouver ses marques » souligne Hervé Bramy, secrétaire départemental du PCF en Seine-Saint-Denis. La force du PCF réside-t-elle justement dans cette capacité à s’ouvrir, d’accepter le changement et la nouveauté ? « Qu'une force politique comme la nôtre décide d'afficher sa détermination sans intérêt partisan mais dans l'intérêt commun, cela ne peut que motiver ceux qui doutent de la vie politique, voire qui en sont écœurés et qui cherchent une issue », souligne Pierre Laurent. Alors même si la pilule a été difficile à avaler pour certains militants, elle semble désormais passée. André Chassaigne, député communiste du Puy de Dôme n’est pas dans les meilleurs termes avec l’ancien socialiste. Critiquant sa personnalisation, il met de l’eau dans son vin et affirme toutefois que « ce n’est pas un affrontement ».
Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste, à Besançon, le 24 janvier
Cette « personnalisation » dénoncée par certains et peut être pourtant l’atout charme de Jean-Luc Mélenchon. Il déplace les foules. De Marseille à Lille, le peuple de gauche est présent. Son apogée reste le discours à la Bastille : 100 000 personnes selon les organisateurs se sont retrouvées devant l’obélisque. Les militants, parfois accrochés aux lampadaires ont écouté attentivement l’homme de la « révolution ». Les drapeaux rouges du PCF figurant en bonne place ont continué de flotter trois jours plus tard mais cette fois-ci en Seine-Saint-Denis. « Le rassemblement du Front de Gauche sur le parvis de la préfecture de Saint-Denis a été un véritable succès. Nous avions peur que les militants ne soient pas au rendez-vous mais nous avons eu une belle surprise lorsque 2000 personnes nous ont rejoint » déclare fièrement Hervé Bramy. Le choix du candidat n’est plus remis en question depuis que celui-ci est devenu le troisième homme de la campagne présidentielle. Après avoir passé la barre fatidique des 10% d’intention de vote, Jean-Luc Mélenchon est inarrêtable. Orateur hors pair, il devient rapidement médiatisé mais s’attirent néanmoins les foudres des journalistes. Insultes, échanges musclés, il ne se passe pas une semaine dans la campagne présidentielle sans qu’il ne se mette en porte à faux vis à vis des journalistes. Du « connard de journaliste » adressé à un reporter de la BBC après que celui-ci lui est adressé une question dérangeant au « Allez dégage » à une journaliste du quotidien Libération, l’homme à la cravate rouge n’a pas sa langue dans sa poche. Mais cette haine des journalistes était-elle sincère ou exagère-t-il dans le but de créer l’effervescence autour de sa personne ?
Jean-Luc Mélenchon lors de son meeting à la Bastille, le 18 mars.
La ferveur des militants du Front de Gauche, qui suivent avec en train leur leader, ne dessert-elle pas le PCF ? Le département de la Seine-Saint-Denis a vu dans les années 90, arriver une nouvelle classe sociale moyenne, issue notamment de Paris intra-muros. Après la fin des banlieues rouge, accompagnée de l’apparition du chômage dans les années 70 et d’une nouvelle population, plus aisée, le PCF a perdu de sa splendeur. Mais depuis les élections européennes de 2009, le parti retrouve de sa dynamique. « Petit à petit, nous reprenons nos marques dans le département » assure Hervé Bramy. « Les dernières cantonales sont un succès et confirme le rejet massif de la politique de droite menée par Nicolas Sarkozy. Dans notre département, la réélection de deux conseillers généraux sortants à Saint Ouen et à Saint Denis et l’élection de deux nouveaux conseillers à Montreuil et à Aubervilliers où les sortants étaient socialistes nous confortent dans notre dynamique ».
Hervé Bramy, secrétaire départemental du PCF en Seine-Saint-Denis et responsable national du pôle « écologie ».
Cette dynamique est confirmée également par une recrudescence des adhésions des jeunes au sein du PCF en Seine-Saint-Denis. Depuis le début de l’année, un nouvel adhérent communiste sur deux a moins de 30 ans. Profitant de la candidature de Jean-Luc Mélenchon, le parti se refait une jeunesse. Les têtes se font tout à coup moins grises et les jeunes arborent fièrement les autocollants PCF aux meetings. Fin 2011, sur 130 000 adhérents déclarés, ils n’étaient plus que 10 000 alors qu’à la veille du premier tour, la moitié des nouveaux adhérents ont moins de 30ans. Cette présidentielle est pour le PCF une cure de jouvence. «Le parti est dans une nouvelle phase d’ouverture. Ce ne serait pas surprenant qu’il y ait un rajeunissement. Maintenant, il faudra voir ce que ça veut dire en termes de culture militante, de rapports avec la structure du parti » observe l’historien Roger Martelli. A l’instar d’Emma, 17 ans, Militante à la Jeunesse communiste de Bobigny qui défend son parti et annonce haut et fort qu’ « on est entendu quand on a quelque chose à dire », de nombreux jeunes se sont laissés emportés dans cette nouvelle vague ».
Cet intérêt des jeunes et une bonne chose pour le parti car cela signifie que même si l’abstention est très présente en Seine-Saint-Denis (50%), la nouvelle génération, cible privilégiée de l’abstention est mobilisée et votera Front de Gauche. La présence régulière du parti dans les quartiers, les réunions, les assemblées citoyennes afin de lire et expliquer les propositions du Front de Gauche, les présences aux sorties d’écoles et les tractations incessantes sont les moyens mis en place par le parti pour lutter contre l’abstention, fléau dans ce département.
Certains y croient, d’autres non. Le programme du Front de Gauche semble irréalisable pour de nombreux citoyens et notamment les socialistes mais cela n’empêche pas le parti de se battre, de continuer à avancer, et surtout de croire au changement. Smic à 1700 euros, partager les richesses et abolir l’insécurité sociale, reprendre le pouvoir aux banques et aux marchés financiers, s’affranchir du traité de Lisbonne et créer une nouvelle Europe, sans oublier l’éducation et l’emploi. « Le programme du Front de Gauche se base sur l’amélioration de la vie quotidienne » selon Hervé Bramy et celui-ci « n’est pas révolutionnaire, c’est juste du bon sens ». Alors que les grands partis politiques ne s’intéressent qu’à l’économie, l’humain est au centre de leur campagne. A ceux qui estiment que leur programme n’est pas fiable et qu’ils ne pourront pas accéder au pouvoir, le secrétaire départemental du PCF en Seine-Saint-Denis répond que « personne ne croyait à la réussite de Jean-Luc Mélenchon, sauf lui même, mais regardez où nous en sommes aujourd’hui ». « Les urnes et les luttes » semblent être le credo du Front de Gauche pour motiver ses militants et accéder à l’Elysée.