Certes, le Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy, au pouvoir en Espagne, est arrivé en tête dimanche, mais il n'obtient pas la majorité absolue et enregistre un net recul. Il n'est pas le seul à être bousculé. Le Parti socialiste (PSOE) espérait prendre sa revanche. Lui aussi perd des sièges. L'un et l'autre doivent faire une grande place à la gauche radicale de Podemos et laisser un espace confortable aux libéro-centristes de Ciudadanos.
Jeunesse au-delà des Pyrénées
C'est donc une partie à quatre qui va maintenant se jouer. Les commentateurs soulignent que la fin du bipartisme sera difficile à digérer pour la démocratie espagnole et que le pays va se retrouver dans une instabilité politique chronique. Et si, plutôt que de voir le verre tombé et cassé, ils le voyaient à moitié plein. Le moment est peut-être venu pour ces différentes formations de négocier des accords, de rapprocher leurs points de vue. L'Espagne est toujours enfoncée dans une crise économique majeure. Les quelques résultats positifs enregistrés sur le front de l'emploi et à l'exportation ne suffiront pas à la sortir du marasme. Bien sûr, rien ne prouve qu'un gouvernement pourra être formé à la gauche ou à la droite de l'échiquier et l'hypothèse d'un retour devant les électeurs reste crédible. Mais peut-on ajouter une crise politique à la crise économique, sachant que le pays est soumis à de puissantes forces centrifuges (les Catalans, les Basques) ? Les uns et les autres y réfléchiront à deux fois avant de faire un saut dans l'inconnu. Paradoxalement, la situation créée par le scrutin de dimanche peut être source d'innovation, d'espoir.
Cette possibilité est d'autant plus réelle que deux nouveaux partis ont émergé et que leurs leaders sont jeunes : Pablo Iglesias, de Podemos, a 37 ans ; Albert Rivera, de Ciudadanos, a 36 ans. N'oublions pas non plus que le secrétaire général du PSOE, Pedro Sánchez, a 43 ans.
Tout est prêt pour une révolution des comportements et des idées. Mariano Rajoy, avec ses 60 ans, fait figure d'ancien, alors qu'en France il serait considéré comme un homme politique simplement… mature.
Vieillesse au-deçà
Que nous sommes loin de l'Espagne ?
Avec le bipartisme auquel nous contraint le fonctionnement même de nos institutions. Ici, c'est la gauche, du centre jusqu'à l'extrême, ou la droite, du centre jusqu'à l'extrême. Même la notion de centre est faiblarde. Dites "centre". On vous demandera : "centre gauche ou centre droite ?". De Gaulle, en voulant enterrer les pratiques de la IVème République, nous a mis un corset dans la Vème. La stabilité a engendré l'immobilisme, voire l'impuissance. Les quelques partis qui essayent d'émerger, souvent d'ailleurs en s'inspirant des exemples grec ou espagnol, sont vite étouffés. Les électeurs ne leur donnent aucune chance parce qu'ils sont persuadés qu'il faut voter utile, en n'ayant en perspective que le court terme. Ils sont, hélas, de plus en plus nombreux à tenter de s'échapper du système en se tournant vers le Front national. Les Espagnols ne sont pas près de commettre la même erreur : ils ont vécu les années noires du franquisme. Ils vont essayer d'inventer l'avenir. Les solutions du passé sont bel et bien mortes.
Que nous sommes loin de l'Espagne ?
Voyez l'âge de nos représentants. Les trentenaires et même les quadras devront attendre et il n'est de bon leader politique en France que blanchi sous le harnois. L'expérience, d'abord. Être un cheval de retour est presque un avantage. Lors de la prochaine élection présidentielle, on reverra certainement les mêmes têtes : Nicolas Sarkozy (élu depuis 1983) ou Alain Juppé (70 ans), François Hollande (au PS depuis 1979), François Bayrou peut-être (64 ans). Marine Le Pen est plus jeune (47 ans), mais elle vient d'une famille si vieille en politique…
Évidemment, ces éminences ne veulent pas qu'on mette en avant leur âge ni la longévité de leur parcours politique. Elles protestent sitôt qu'on leur parle de "gérontocratie" et accusent à leur tour ceux qui les discréditent, de "jeunisme". L'on comprend aussi pourquoi il est si difficile dans notre pays d'interdire le cumul des mandats, seul moyen pourtant de renouveler sur la durée notre corps politique.
Et, pendant ce temps-là, un certain Bernard Tapie (72 ans) se remet en scène pour résoudre le problème du chômage et combattre les idées lepénistes. Il a déjà fait ses preuves dans le passé, affirme-t-il.
Encore une fois, le passé !
Patrick Béguier est journaliste, éditorialiste et écrivain.