Hauts-de-Seine : assiste-t-on à une percée de la gauche ?
Publié le Par Jennifer Declémy et Julie Catroux
Les résultats de François Hollande lors des deux tours de la présidentielle semblent montrer une percée de la gauche, d'autant que le quinquennat de Nicolas Sarkozy a vu un certain effondrement de la sarkozie dans ce département historiquement à droite.
Fief de la droite depuis plus de 45 ans, le département des Hauts-de-Seine est également le terrain de jeu de Nicolas Sarkozy depuis 1983. Suivi à la loupe par les médias, il demeure le fournisseur officiel de tous les conseillers élyséens et le domaine de nombreux poids lourds de l’UMP (Charles Pasqua, Patrick Devedjian, Roger Karoutchi, André Santini…). Maire de Neuilly sur Seine de 1983 à 2002 et président du conseil général de 2002 à 2007, le président de la République entretient des relations privilégiées avec les barons du département et y connaît l’un de ses plus hauts scores, lors du premier tour de l’élection présidentielle. Toutefois, cette réussite est à relativiser. En effet, lors du premier tour, Nicolas Sarkozy connaît un recul de 3,3 points par rapport à 2007 tandis que les résultats de François Hollande ont augmenté de 5 points par rapport aux scores de Ségolène Royal cinq ans auparavant. Au second tour ensuite, ce n'est qu'avec une majorité de 50,52% des suffrages que l'UMP l'emporte sur le PS, soit une majorité historiquement faible pour ce bastion de la sarkozye.
La droite commencerait-elle à s’affaiblir dans un département où elle gouverne depuis un demi-siècle ?
En 2008, les élections municipales et cantonales avaient révélé quelques premières fissures dans l'empire bâti par Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy. Neuilly, ville bourgeoise, fief du président-candidat et traditionnellement à droite avait été conquise par le divers droite Jean-Christophe Fromantin. A Asnières, Manuel Aeschlimann, l'ancien «Monsieur opinion» du président, au pouvoir depuis 1999, avait été détrôné par une liste de rassemblement emmenée par la gauche. Enfin, Puteaux, tenu par la dynastie Ceccaldi-Raynaud depuis près de 40 ans a été mis en difficulté par Christophe Grébert et sa liste d'union avaient recueuilli 25% des voix. En 2010, aux élections régionales, la gauche l'a emporté dans le département avec 51,6% des voix. «Avant c'était une terre de mission pour la gauche, maintenant c'est une terre de conquête», explique Pascal Buchet, conseiller général et président de la fédé PS du 92.
A quoi est dû cet affaiblissement du parti majoritaire ?
Une partie de la population conteste clairement le «clan» du président et le népotisme sarkozyste. Les citoyens ne veulent plus des scandales qui animent la vie politique des Hauts-de-Seine. Adieu les guerres entre Devedjian et Balkany, adieu la nomination de Jean Sarkozy à la tête de l’EPAD, etc… Les habitants du département souhaitent du renouveau. « La montée de Fromentin et de Courson reflète un nouveau comportement qui propose des valeurs que l’ancienne droite n’est pas capable d’offrir » souligne Christophe Grébert, porte parole du Modem dans les Hauts-de-Seine, conseiller municipal de Puteaux et auteur d’un blog contestant le pouvoir mis en place dans cette ville, avant de préciser que le « rapport vassal suzerain ne peut continuer ». Selon lui, lors du premier tour de l’élection présidentielle, la population a davantage voté « contre Hollande » que « pour Sarkozy et son bilan ». La droite n’est définitivement plus ce qu’elle est dans les Hauts-de-Seine. La perte d’idéologie est considérable et les citoyens continuent de voter majoritairement à droite certes, mais non pas sur des réels programmes mais plus par conviction personnelle. Le vote du 6 mai n’est pas un vote d’adhésion à l’exception des « jeunes pop de Neuilly » affirme d'ailleurs Christophe Grébert. La droite est vieillissante dans ce département, par conséquent, si elle ne se sépare de ses barons, elle s’effondrera peu à peu. La gauche ainsi qu’une droite plus modérée pourront s’implanter, profitant d’une absence de renouveau de la part de la droite. Le coup le plus rude d'ailleurs aura d'ailleurs été porté au cœur du « système Sarkozy » à Levallois Perret. Fraichement transférée dans un canton sud réputé imprenable, Isabelle Kalbany, premier maire-adjoint UMP est battue par Arnaud de Courson, Divers droite lors des élections cantonales de 2011. Cette montée d’un vote Divers droite indépendant achève de démontrer que l’hégémonie de l’UMP n’est plus une fatalité.
La percée du Parti socialiste dans les Hauts-de-Seine
Gagnant cinq points par rapport à 2007 lors du premier tour de l’élection présidentielle, le PS montre une percée incontestable dans le département. Comme tous les opposants aux barons de l’UMP, Jacques Blandin, conseiller municipal PS de Sèvres et mandataire de François Hollande dans le 92, estime que le désintéressement de la vie politique est croissant de la part de la population et que le « socle de la droite s’essouffle dans les Hauts-de-Seine ». Malgré une participation plus faible dans les bureaux de gauche, le parti socialiste marque une progression impressionnante, lorsqu’on sait que ce département est entièrement dirigé par des proches de Nicolas Sarkozy. Les résultats de ce premier tour mettent en lumière, dans le sud du département notamment, une désaffection des villes centristes pour Sarkozy. Un phénomène qui s’explique sans doute en partie par le « vote bobo », estime Jean-Loup Metton, maire (Nouveau Centre) de Montrouge, qui « s’attendait à ces résultats ». « Ils sont généralisés dans les villes limitrophes de Paris, où s’établissent de plus en plus de Parisiens ». Cadres moyens ou supérieurs, électeurs de « centre gauche » selon Jean-Loup Metton, mais qui se sont tournés vers François Hollande dimanche. « C’est l’électorat parisien de Bertrand Delanoë qui bouge et continue de voter socialiste », décrypte Pascal Buchet. « L’effet Delanoë » se mesure également à Clichy, observe son maire, Gilles Catoire (PS), où Hollande atteint près de 42% : « Nous progressons dans les quartiers les plus bourgeois grâce aux classes moyennes venues de Paris », commente l’élu.
La percée de la gauche et l’érosion des voix de Nicolas Sarkozy dans le département des Hauts-de-Seine ne sont toutefois « pas un drame » selon le sénateur UMP Robert Karoutchi qui retient « les très beaux scores » du président-candidat à Neuilly (72%, comme en 2007), à Levallois, Rueil-Malmaison, Boulogne notamment, et se félicite d’un FN à seulement 8,5%. « Nous restons majoritaires dans les Hauts-de-Seine », insiste t-il. Cependant, les résultats des élections municipales, cantonales et présidentielles démontrent que les Hauts-de-Seine ont entamé une profonde mutation politique au détriment du parti majoritaire, qui sera à observer lors des prochaines élections. Si cela ne se traduira pas forcément par un basculement à gauche, ce sera peut-être davantage en faveur d'un renouvellement générationnel de la classe politique à droite et/ou au centre, avec de nouvelles têtes libérées des clans Sarko-Balkany-Devedjian, montrant davantage d'indépendance vis-à-vis de l'UMP, une pratique plus moderne du pouvoir, loin du clientélisme pratiqué dans les Hauts-de-Seine depuis des décennies. Les prochaines élections législatives, à cet égard, risquent de bouleverser la donne.