Comment Marine Le Pen est devenue la candidate du monde rural.

Lors de sa venue au salon de l’agriculture au mois de février dernier, les observateurs avisés avaient pu constater que les idées de l’extrême-droite faisaient de plus en plus leur nid dans le monde rural, traditionnellement ancré à droite, mais qui a du mal à accrocher à Nicolas Sarkozy. Les scores obtenus dimanche dernier dans les endroits les plus ruraux de France permettent de constater qu’effectivement, le très haut nombre de suffrages obtenus par Marine Le Pen s’explique en partie par ce vote rural.

Comment expliquer ce nouveau vote ? D’après le géographe Christophe Guilluy, « la fragilité sociale que l’on a d’abord vue dans la zone nord-est du pays, concerne aujourd’hui les zones rurales » qui subissent la crise de plein fouet, mais aussi la fermeture des services publics, thème central dans le programme du FN et qui « agit comme un signal envoyé à ces catégories à la recherche de plus de protection ». En ciblant le monde de la ruralité, pour qui un site internet spécialisé avait même été créé, Marine Le Pen a réussi à cibler cet électorat qui s’est massivement porté sur elle au premier tour.

« Elle parle des petites villes, des petits villages, les zones désindustrialisées qui se sentent délaissées » constate également le géographe qui souligne qu’elle a très souvent fait des visites dans le monde rural et a visité beaucoup d’exploitations agricoles. Une démarche appuyée en outre par sa dialectique constate de « peuple contre les élites », qui marche à plein tube sur un électorat qui se sent abandonné par les pouvoirs publics et qui craint les effets de la mondialisation sur sa vie quotidienne.

« Ils ont le sentiment d’être pris en étau, dans un mouvement de double pression, entre ce qu’ils appellent les assistés et les élites » explique Nonna Mayer, sociologue, et Christophe Guilly abonde dans son sens en décrivant le monde rural comme « le plus aux prises avec la réalité de la mondialisation : ce sont des actifs, de 25 à 55 ans, qui critiquent la mondialisation et son corollaire, l’immigration ».

Cette OPA du FN sur le monde rural s’était en particulier constaté le 26 février dernier, lors d’un meeting de la candidate dans l’Indre, durant lequel Marine Le Pen s’était décrite comme la candidate de la ruralité et des services publics pour dénoncer « l’abandon des campagnes » par les pouvoirs publics. Et depuis lors, elle n’avait cessé de multiplier les déclarations d’amour envers cet électorat, « j’aime la France rurale et des villes. Je ne l’oppose pas à la France des banlieues, toutes les deux se complètent » a-t-elle eu l’occasion de déclarer. « L’âme française est intrinsèquement paysanne. Nos compagnes sont des espaces d’une richesse inouïe, où la France se perpétue dans ce que sa civilisation a engendré de meilleur. Je refuse cet oubli (…) ensemble nous allons rompre avec le mépris d’une petite élite parisienne qui se croit supérieure et nous allons remettre la France rurale dans la France tout court » avait-elle également martelé ce fameux 26 février.

Des élus du monde rural expliquent eux ce vote frontiste par « une espèce d’angoisse du monde rural. Les gens se sentent abandonnés par les services publics ici (…) on a perdu toute notre liberté, avec des contrôles permanentes en agriculture. Nous, tout ce que l’on veut, c’est pas être emmerdés ». D’ailleurs, dans les fédérations FN des départements ruraux, le nombre d’adhérents a explosé, confirment les secrétaires départementaux.