Portrait de campagne : Aquilino Morelle
Publié le Par Julie Catroux
Portrait de la nouvelle plume de François Hollande, Aquilino Morelle.
Conciliant médecine et politique, Aquilino Morelle peut être fier de sa carrière atypique. Après avoir été la « plume » de Lionel Jospin, il devient directeur de campagne d’Arnaud Montebourg puis écrit les discours de François Hollande et devient en mars le directeur adjoint de la campagne du candidat socialiste.
Issu d’une famille d’immigrés espagnols, Aquilino Morelle ne doit sa réussite qu’à lui même. Il ne fait pas partie de ces enfants de bonnes familles pour qui, tout semble plus simple. Son père, immigré espagnol est affûteur aux usines Citroën de Nanterre et sa mère s’occupe de ses six enfants dans la petite maison ouvrière. Rien ne prédestinait ce jeune homme à réussir et pourtant... Evoluant dans un milieu ouvrier, seuls deux métiers existaient pour briller : médecin ou avocat. Il choisit le premier et réussit haut la main sa première année avant d’être reçu au concours de l’internat. Mais cela ne lui suffit pas. Fort d’une détermination à toute épreuve, il tente et accède la même année Science-Po. Aquilino Morelle raconte avoir « découvert la bourgeoisie parisienne avec son capitale culturel et symbolique » en rentrant dans cette prestigieuse école, à la différence où « lui était bien meilleur qu’eux ». Son arrogance, signe d’une envie de réussir indéniable ne semble pas lui jouer de mauvais tour. A 23ans, le jeune homme est à l’hôpital le matin, à Sciences-Po l’après midi et avec femme et enfants le soir. Se donnant les moyens de réussir, il rêve d’une « revanche sociale » et entre à l’ENA. Ses amis se souviennent qu’il disait tout le temps : « À 40 ans, je serai ministre.» Et cela a bien failli fonctionner.
Au grand oral de l’ENA, en 1988, Pierre Moscovici le remarque. L’examinateur, alors membre du cabinet du ministre de l’Education nationale Lionel Jospin lui fait passer un mot, « je voudrais vous revoir » et lui présente Lionel Jospin. La voie royale s’est alors ouverte à lui. En 1995, l’ère mitterrandienne se termine et Lionel Jospin prend la tête du Parti socialiste. Pierre Moscovici appelle celui qui l’avait interpellé lors de l’oral de l’ENA et lui dit « Jospin reprend le PS, je lui parle de toi ». Le tapis rouge se déroule rapidement pour Aquilino Morelle. Fin janvier 1996, il est présenté au premier secrétaire. A seulement 35 ans, l’énarque goûte à la toute puissance. Son entrée en politique s’est faite par la grande porte et il compte bien y rester. Devenu en 1997 la plume de Lionel Jospin, alors 1er ministre, il fait parti de la garde rapprochée de ce dernier tout comme Manuel Valls. À Matignon, Aquilino toisait ses interlocuteurs, les Weston sur la table. Émerveillé par le pouvoir, il ne voyait même plus qu’il déjantait. « Aquilino est resté un jeune homme pressé, trop franc dans la manifestation de sa précipitation », se souvient un ancien de Matignon.
« Une image vaut mille mots », affirmait Mao à la suite de Confucius, mais sans un bon discours, l’image ne suffit pas. Avant de faire savoir, il faut s’occuper de ce que l’on va dire, comme de la manière de le dire. Avec des mots qui vont marquer les électeurs. Mais le 21 avril 2002, le rêve de Morelle s’écroule. La gauche ne sera pas au second tour de l’élection présidentielle et laissera sa place au Front National. Il exprimera sa déception en affirmant qu’en « 24 heures, il a découvert les lâches, les ordures et les infidèles ». Déçu mais pas abattu, il veut « souffler et gagner de l’argent » et se retrouve à Euro RSCG. Après avoir dit à ceux qui voulaient l’entendre être un homme de gauche, qui critique la bourgeoisie et se place au dessus, il fustige qu’il ne « fera jamais partie de la bourgeoisie. Ses enfants, peut-être, mais lui, jamais. Il lui reste l'essentiel, l'éducation, les souvenirs ». Son envie de gagner de l’argent et cette horreur de la bourgeoisie semblent toutefois paradoxales. Mais cette expérience tourne court et le légendaire optimiste, attiré par sa soif de pouvoir, revient à la politique.
Ayant une confiance en lui quasi démesurée, Aquilino Morelle n’a pas peur de se démarquer. En 2004, il n’hésite pas à s’engager au côté de Laurent Fabius pour le « non » au traité constitutionnel européenne. Ce n’est pas la première fois que l’homme politique se met en avant et affirme ses idées. En 1992, il avait déjà voté « non » au traité de Maastricht. « Je ne supporte pas ce côté « il n’y a pas le choix », il y a toujours le choix ».
Malgré l’intelligence de cet homme et son ascension sociale fulgurante, il manque une corde à son arc : il n’a jamais réussi à se faire élire. Se présentant aux élections législatives de 2007 comme représentant du parti socialiste dans la 6èmecirconscription de Seine-Maritime, il est battu au premier tour. De même il n’a pas voulu être médecin mais c’est dans la santé publique qu’il a accompli ses plus grandes œuvres. « J’ai produit il y a vingt ans un rapport sur le sang contaminé et l’année dernière celui sur le Mediator. J’ai le sentiment d’avoir fait quelque chose qui sera utile » déclare Morelle. Lors de l’affaire du Médiator, Irène Frachon, héroïne de ce scandale médical ne manque pas d’éloge à l’égard de l’auteur du rapport. « Je l’ai vu en grand inquisiteur incorruptible. Ses charges, lors des auditions, étaient terribles. Il demandait : Vous êtes nul, ou corrompu? Médecin et énarque, c’est rare et précieux » évoque t-elle. Alors oui, Aquilino Morelle est un homme de pouvoir, brillant, mais il ne brille pas grâce à sa modestie. En déclarant « être médecin, quand vous êtes un bon médecin comme c’est mon cas, c’est savoir hiérarchiser les priorités », le politique ne se fait pas que des amis.
Sa principale qualité est surement la vanité mais cette dernière est peut être la clefs de sa réussite. Replongé dans le grand bain de la politique, il se rapproche d’Arnaud Montebourg, l’autre justicier socialiste, dirigeant sa campagne de la primaire socialiste. L’ancien candidat socialiste ne manque pas d’éloge à l’égard de son homme de confiance en déclarant « Aquilino a une vision politique claire, une vision stratégique solide, une force dans l’expression hors du commun, c’est un homme aux multiples destins ». Cette relation de confiance n’avait pourtant pas bien commencé. A Matignon, l’amour n’était pas au rendez-vous et Arnaud Montebourg ne se privait pas pour attaquer Morelle ainsi que Valls.
Après l’échec d’Arnaud Montebourg à la primaire socialiste, il décide de se tourner vers l’homme de la lumière. Est-ce par amitié ou pour revenir sur le devant de la scène ? La question reste en suspend. Après Lionel Jospin et Arnaud Montebourg, Aquilino Morelle devient la plume de François Hollande. Ce dernier a une haute estime de cet énarque : « Aquilino lit beaucoup, il apporte une construction intellectuelle très intéressante, apprécie Hollande. Sur la finance, ce sont Aquilino, Montebourg et Ségolène qui ont eu raison ». « C’est vrai, Morelle n’est pas une simple plume, il réfléchit aussi et propose des solutions. Alors comment fait-il pour adapter ses discours à la personnalité du candidat ? « , « Je le connais suffisamment bien pour savoir ce qui peut lui convenir. Si cela fonctionne, c’est parce qu’il y a de la confiance, une intimité politique et personnelle. On a passé de nombreuses heures ensemble, des heures de joie, de tension dans la loge avant ses discours. On a de longues conversations sur les idées, les articulations. Quand François Hollande lit un discours que j’ai écrit, c’est son discours. Même si, à certains moments, j’ai un regard plus technique ». Pour le premier grand meeting de François Hollande lors de cette campagne présidentielle, il a prononcé un discours au Bourget au cours duquel il parle de la finance. Un discours très bien accueilli par les militants socialistes. Un discours proposé par Aquilino Morelle.
A bientôt 50ans, quel avenir s’ouvre devant lui ? Va t-il rester parmi les fidèles de François Hollande après l’élection présidentielle ? Cela va t-il dépendre de l’issue du second tour ? Homme volubile qui cherche sans cesse la popularité, Aquilino Morelle a semble t-il choisi la bonne personne.