Daniel Mangeas, speaker du Tour de France pendant 40 ans « Je vais racheter un cahier à spirales… »
Publié le Par Jacques-Henri Digeon
flickr - brassynn
Après 40 ans d’animation sur les podiums des départs et arrivées sur le Tour de France, Daniel Mangeas (66 ans), surnommé « La voix du Tour » ne sera plus sur la Grande boucle. Son contrat avec Amaury Sports Organisation (ASO), maître d’oeuvre du Tour (mais aussi de Paris-Nice, du Critérium International, de Paris-Roubaix, etc…), a pris fin en 2014. Samedi, le Tour s’élancera d’Utrecht sans lui. Il savait que ça arriverait un jour. Mais aujourd’hui, il s’avoue en règle avec lui-même. Avec, dans sa voix, une petite pointe d’émotion. On n’efface pas comme ça quarante ans de passion…
Le Tour s’élance d’Utrecht sans vous pour la première fois depuis 40 ans. Que ressentez-vous aujourd’hui ?
Certes un peu de tristesse de ne pas y être… Mais je m’étais préparé à cet arrêt depuis quelques années. En quittant le Tour, ça me permet aussi d’évacuer beaucoup de ce stress que j’avais avant d’animer les départs et arrivées. Aujourd’hui, je suis serein.
Et quel était votre sentiment en juillet 2014 lors de votre dernier « podium » sur le Tour aux Champs-Elysées?
Il y a eu beaucoup d’angoisse. Je suis un perfectionniste et je ne voulais pas terminer par une fausse note, un peu comme un chef d’orchestre qui joue sa partition et qui rate la dernière note ; ou comme le boxeur qui fait le combat de trop. Mais j’avais ce sentiment très fort d’avoir pu vivre ma passion pendant quarante ans…
Quel est votre programme en ce mois de juillet ? On suppose que vous avez été invité pour suivre une ou plusieurs étapes…
Christian Prudhomme (NDLR : patron du Tour de France, chez ASO) m’a en effet invité pour suivre une étape, Livarot-Fougères. Mais à ce moment je serai chez mon fils en Norvège. Vous comprenez, c’est la première fois depuis quarante ans que je peux partir en vacances en été … Mais l’année prochaine, le Tour partira de la Manche, mon département. Alors j’irai…
J’imagine que vous allez regarder le Tour à la télévision…
Comme je vous l’ai dit, je serai en famille. Bien sûr que je suivrai le Tour… Mais je vais refaire ce que je faisais quand j’étais gamin : je vais me racheter un cahier à spirales et je vais découper et coller tous les classements, tous les résultats, noter les hommes en forme, ceux qui ont une baisse de régime…
« J'aime les gens… »
Il y a quatre speakers pour vous remplacer. Est-ce que ça veut dire que vous êtes difficilement remplaçable (est-ce que ça flatte votre ego) ou est-ce le Tour qui entre dans une nouvelle dimension ?
Oui, je pense que le Tour est dans une nouvelle dimension. Pendant quarante ans, j’ai assuré tout seul les départs et les arrivées. Dès le départ, il fallait que je file à l’arrivée, remonter toute la caravane publicitaire et arriver dans les temps pour commenter la course. C’était devenu de plus en plus délicat avec des étapes beaucoup plus courtes. Maintenant, c’est du travail en équipe, c’est autre chose. Mais je fais confiance à mes successeurs.
Pendant 40 ans, juste après l’animation du départ vous avez rallié l’arrivée, et cela sans jamais être au cœur de la course, dans une voiture de commissaire ou dans celle d’un directeur sportif… Est-ce que quelque part il n’y a pas un manque ?
Oui, probablement. Mais je le vivrai l’année prochaine dans la Manche. Vous savez, j’aime par-dessus tout le cyclisme, j’aime les gens et j’aime leur faire partager ma passion. Et c’est ça ce qui est important pour moi.
Lors du tour d’Eure-et-Loir (épreuve de Coupe de France de DN1) à la mi-juin, vous avez été fait membre d’honneur d’une petite commune de quelque 2000 habitants, Bû, pour ne pas la nommer. Ce geste a dû vous toucher…
Je ne vais pas le cacher : bien sûr que j’étais content. Mais aussi quelque part un peu gêné. Je suis mal à l’aise quand on parle de moi. Cela dit, j’ai été très touché d’autant plus qu’à cette occasion, j’ai retrouvé le cyclisme avec son ambiance rurale et son côté bon enfant.
Que pensez-vous du cyclisme moderne, de ces étapes de plaine stéréotypées avec une échappée reprise automatiquement par le peloton, de celles de montagne où il faut attendre les dernières pentes pour que la bagarre soit déclenchée ?
Le cyclisme évolue. Regardez par exemple, le Giro, il y a eu une course débridée. Le Tour, c’est différent parce que justement…c’est le Tour…Il y a un enjeu particulier. Bien sûr, il y a des attaques, mais la course tourne beaucoup à la défensive. Sur le Tour, la course est beaucoup plus cadenassée que sur toutes les autres épreuves. Moi, ce que j’aimerais, c’est que chaque coureur ait sa chance, mais il y a tellement d’enjeu…
Osera t-on vous demander un favori ou plutôt votre favori ?
Mon favori, ce pourrait être Froome. Tout simplement parce que c’est un garçon très sympathique Je pense que Quintana peut être le favori logique. A la Route du Sud, il s’est montré particulièrement à son aise après une préparation personnelle très poussée. Et puis, il a tellement envie d’être le premier Colombien à remporter le Tour. Côté français, on suivra bien sûr Pinot et Bardet mais aussi le prometteur Warren Barguil. Et pour l’avenir, suivez de près le jeune Pierre-Roger Latour qui s’est payé le luxe d’attaquer Contador et Quintana dans l’étape reine de la Route du Sud…