.Le XXIème siècle ne sera pas un siècle de paix. Les chercheurs du Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (Giec) viennent de publier leur troisième rapport. Alors qu’il faudrait limiter à 2 °C la hausse du thermomètre mondial par rapport à l'ère préindustrielle, nous sommes plutôt partis pour une hausse de 3,7 à 4,8 °C à l'horizon 2100. Quelques degrés qui vont peser lourd dans le devenir de la planète, lourd comme le coût des catastrophes climatiques dont on commence à entrevoir l’importance.
Longtemps, l’énergie nucléaire fut présentée comme une réponse bon marché et propre aux aléas climatiques. Elle s’est paradoxalement développée au même moment où est apparu le concept d’écologie, c’est-à-dire dans les années soixante-dix. Propre le nucléaire l’est quand tout va bien et si l’on oublie les milliers de tonnes de déchets radioactifs que l’on stocke aux bons soins des générations futures.
Propre, le nucléaire l’est également beaucoup moins en cas d’accidents industriels, trois à ce jour : Three Mile Island aux Etats-Unis, le 28 mars 1979, où 45% du cœur d’un réacteur à fondu mais la cuve a résisté ; le 26 avril 1986, un réacteur de la centrale soviétique de Tchernobyl explosait, envoyant dans l’atmosphère l’essentiel de ses matériaux combustibles ; enfin, le 11 mars 2011, la centrale de Fukuschima explosait, entraînant la fusion des réacteurs. Trois accidents c’est peut-être peu, mais pour les deux derniers cela a entraîné des dizaines de kilomètres carrés interdits à jamais au retour des populations. En leur simple nom, peut-on parler d’énergie propre ?
Sait-on démanteler ?
Le nucléaire pose un autre problème. La durée d’une centrale nucléaire est d’environ une quarantaine d’années. Au-delà son taux d’usure devient coûteux et problématique. Mais la démanteler est aussi coûteux et problématique et ne reporte que de vingt ou trente ans la question. Par exemple, le coût de l’arrêt d’une centrale comme Fessenheim devrait s'élever à 5 ou 8 milliards d'euros selon EDF, compte tenu de l’indemnisation des actionnaires privés. Or, non seulement les actionnaires privés d’EDF possèdent plus de 20% du capital, mais encore les réacteurs de Fessenheim sont détenus à plus de 30 % par une société allemande et des sociétés suisses. Ces actionnaires seraient à même de mener une action en justice et pourraient prétendre jusqu’à 1,8 milliards de dédommagement.
Il reste une autre question : sait-on démanteler une centrale nucléaire ? Aux Etats-Unis, sept réacteurs ont déjà été démantelés dont deux de forte puissance, du même type que ceux qui sont en fonctionnement en France. Par exemple, celui de Main Yankee a été démantelé en 8 ans, de 1997 à 2005, jusqu’à assainissement complet du terrain. En Angleterre, avant de commencer à démanteler les réacteurs, il a été décidé d’attendre plus de cinquante ans après la fin de l’exploitation mais, en France, ce n’est pas l’option qui a été retenue. Le démantèlement d’un des réacteurs de Chooz, arrêté en octobre 1991, a commencé en 2007 et devrait être terminé en 2016. Quant au coût du démantèlement, il a été évalué « à la louche » par l’Etat à 15 % du montant de l’investissement. L’expérience montre que ce sera peut-être plus cher mais très probablement moins de 30 % du coût de l’investissement.
Corinne Lepage, affirmait récemment que le coût véritable du démantèlement des 58 réacteurs nucléaires français, serait compris entre 100 et 200 milliards d’euros, alors que l’addition des provisions faites par Areva et EDF s’élève à un montant proche de 18 milliards d’euros. L’article 20 de la loi du 28 juin 2006 stipule que les exploitants de la filière doivent provisionner dans leurs comptes les charges futures concernant le démantèlement immédiat de leurs installations et affecter, à titre exclusif, un portefeuille d’actifs nécessaires à la couverture de ces provisions.
L’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) qui donne chaque année son avis sur les rapports remis par les exploitants concernant cette obligation, s’est prononcée le 7 avril dernier : « Les exploitants devront, pour la prochaine mise à jour des rapports, parfaire les méthodologies d’évaluation et compléter les justifications sur les hypothèses retenues pour évaluer les charges du démantèlement ». Au final, selon les calculs d’autres observateurs, le total du coût de déconstruction des centrales nucléaires (non actualisé) serait de l’ordre de 41 milliards.
Mine de sel, mine de fer…
Il reste que, après trente à quarante ans de production d'électricité par la fission de l'atome, tous les matériels intégrés dans le réacteur sont irradiés à un degré plus ou moins important. La technique de démontage s'avère très délicate si l'on veut éviter la contamination des travailleurs. De même, il faut ensuite enfermer très soigneusement les différents matériaux et liquides radioactifs pour éviter qu'ils contaminent l'environnement. De surcroît, le démantèlement crée un problème de stockage des pièces de la centrale devenues déchets radioactifs. Le plus souvent, elles seront stockées aux abords mêmes de la centrale. Pour combien de temps ? « Au moins vingt ans, précise Jay Hyland, directeur de la sécurité nucléaire de l'Etat du Maine, aux Etats-Unis, probablement trente-cinq à quarante ans, ou peut-être même cent ans... Je ne sais pas. » L'espoir des nucléaristes serait de les enfouir sous terre. Ils parient sur la certitude de les stocker sans fuite jusqu’à 300.000 ans. Dans la mine de sel d'Asse, en Allemagne, on a commencé il y a quarante ans à enfouir des déchets nucléaires. En 2004, la montagne de granit voisine a commencé à bouger et le site d'enfouissement à se fissurer. Et il faut y injecter du béton en permanence. On prépare un autre site dans une mine de fer à Konrad.
Au final, le démantèlement des centrales a un coût, qui pourrait au total atteindre des centaines de milliards d'euros. Service compris…
Une réalité s’impose : la jeune industrie du nucléaire, à force de lobbying notamment, s’est lancée dans une aventure exaltante certes, mais en oubliant l’ardente obligation qu’un jour le plus lointain possible, il faudrait démonter leur travail. Aucune étude n’a été faite dans ce sens alors que se dessinaient les futures plans des centrales… condamnées pour certaines à devenir la mémoire interdite des hommes.
Antoine Laray est journaliste économique et financier