En début de semaine, l’indice de la Bourse de Paris, le CAC 40, flirtait encore à des sommets de plus de cinq ans. La crise dure aussi depuis un peu plus de cinq ans. Les mots n’ont pas le même sens. Certes, en cette fin de semaine, les bruits de bottes en Ukraine tempèrent l’enthousiasme boursier, mais nous ne sommes pas encore à disserter sur le vieil adage « acheter au son du canon et vendre au son du clairon ». Tout va bien sur les marchés même si les investisseurs adorent se faire peur. Quant aux amateurs, le conseil est toujours le même : il n’y a pas mieux qu’une bonne vieille assurance-vie pour placer ses petites économies.
Il reste que la Bourse semble toujours étrangement décollée de l’économie réelle, celle qui fait que l’on consomme ce que d’autres produisent en travaillant. De même, avec le recul du temps, on pourrait juger curieux cette économie qui génère des milliards de dollars sur le simple fait de cliquer une pub, sans même déclencher un achat.
Combat de géants
Dernier record en date : Facebook vient de racheter le service de messagerie WhatsApp le 19 février dernier…pour excusez du peu, 19 milliards de dollars. Google aurait fait une offre, ce qu’il dément, mais on peut penser qu’il doit quand même être vexé. Il s’agit de la deuxième plus grosse acquisition de l’histoire et la plus importante de Facebook. L’enjeu ? Le contrôle de l’économie du clic à l’échelle de la planète. Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, ne s’y trompe pas quand il déclare que «WhatsApp valait plus que 19 milliards de dollars. […] Très peu de services peuvent toucher un milliard de personnes dans le monde et ils ont tous beaucoup de valeur. Beaucoup plus que ce qu’on a payé.»
En clair, les deux géants du net Google et Facebook ont engagé la lutte pour le contrôle du téléphone de demain. Un smartphone sur deux vendu est désormais équipé du système Android. Le robot vert de Google s'est accaparé la couronne de roi du mobile. Mais pour combien de temps ? Outre la concurrence d'Apple et de Microsoft sur le système, Google doit faire face au changement de stratégie de Facebook qui opte pour celle du « mobile first » Il y a deux ans, le réseau social ne tirait ainsi aucun revenu de son activité mobile. A la fin 2013, le téléphone représentait 53% des recettes publicitaires du groupe, soit 1,2 milliard de dollars au quatrième trimestre et plus de 3 milliards sur l'année. Il s'est ainsi emparé de 18,4% du marché de la publicité mobile, devenant numéro deux mondial derrière... Google.
Votre portrait commercial
« Big brother is watching you ». Quoi que vous fassiez sur internet, un gentil ordinateur dessinera au gré de vos clics votre portrait commercial. Ainsi vous recevrez les bonnes pubs et pour peu que vous y jetiez un coup d’œil, l’annonceur versera une petite obole à l’échelle de votre clic, oboles qui deviendront fortunes à l’échelle de la planète.
C’est ce que j’appelle « l’économie du clic ». Facebook a ainsi opté pour des messages insérés dans le fil d'actualités, entre les statuts des amis. Efficace quand trois quarts des 1,23 milliard d'utilisateurs consultent le réseau sur smartphone.
Plus large sera l'auditoire, plus le réseau social pourra vendre de la pub ou pousser à des achats sur lesquels il prend une marge.
Google avait également compris, avant Facebook, que son principal relais serait le mobile. Il fournit donc un système gratuitement aux constructeurs, histoire de s'implanter largement dans un maximum de smartphones. Ensuite, il n’y a plus qu’a capitaliser sur l'intégration de services utilisés par les consommateurs (Gmail, Maps, YouTube...).
Et ce n’est pas fini, il faut créer de nouveaux services. Interrogé par le « Nouvel Observateur », Sundar Pichai, vice-président de Google en charge d'Android et de Chrome, veut les rendre indispensables au travail, à la maison, à l'école, adaptés aux différentes formes de produits - téléphone, tablette, lunettes, montre… Bref , Google vise modestement sur « les cinq prochains milliards d'êtres humains qui se connecteront ».
Il est loin le temps où Microsoft rachetait Hotmail pour 500 millions de dollars. Quelques rachats plus tard, c’est au tour de News Corp de s’offrir MySpace pour 580 millions de dollars. Les observateurs sont-il persuadés d’y voir le deal du siècle ? Eh non, en 2006, Google rachète YouTube pour 1,65 milliard de dollars. L’opération est vite amortie : en 2013, YouTube a réalisé 5,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires publicitaire. On ne joue plus dans la même cour. En 2011, Microsoft rachète Skype pour 8,5 milliards de dollars. En 2012 c’est Facebook qui rachète Instagram pour 1 milliard de dollars. Cela dit, on peut toujours se prendre à rêver ou être perplexe devant ce monstre que représentent Internet et sa fameuse bulle.
Increvable bulle ?
Antoine Laray est journaliste économique et financier