1,3 milliards de petits Chinois et nous, et nous, et nous
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ANALYSE ECONOMIQUE. Quelle que soit la manière dont on aborde l’actualité, on y croise souvent une histoire chinoise. Et ce n’est jamais simple. - Par Antoine Laray
Dernièrement encore, c’est le solaire qui a échauffé les oreilles des industriels européens. Les fabricants chinois de panneaux solaires ont conquis en quelques années 80% du marché européen. Les importations concernées représentent environ 21 milliards d'euros. L’Europe a manifestement loupé le coche d’un marché en pleine expansion. Pour limiter les dégâts, la Commission européenne, au nom d’une pratique qu'elle assimile à du dumping, prévoit un relèvement des droits de douanes à 47% en moyenne dès le 6 juin. Seulement voilà, sur vingt-et-un pays (sur les vingt-sept de l’Union) interrogés, seul six (dont la France) soutiennent Bruxelles. Les autres (dont l’Allemagne) craignent ouvrir une boîte de Pandore qui pourrirait les relations commerciales avec la Chine. La suite du feuilleton cette semaine.
Il est loin le temps, enfin façon de parler, où la Chine fournissait en petites mains les grands groupes industriels du monde entier. Cela dit, côté petites mains, elle continue, mais à la gloire d’un « made in China » plus ou moins avoué. Tout y passe, de la modernisation à tout crin du pays aux tableaux de Montmartre vendus Place du Tertre. Un jour ou l’autre, ils dameront le pion à Airbus, Boeing… ou la lune.
Un problème quand même, on compte, à la louche, environ 1,3 milliard d’habitants. Parmi eux combien d’habitants vivant en un état de grande pauvreté : 300 millions peut-être. Entre 2010 et 2020, la classe aisée chinoise, « qui est plus riche que la classe moyenne mais moins fortunée que les super-riches », va passer de 6% à 21% de la population du pays, relève un rapport du Boston Consulting Group (BCG). On compte actuellement 120 millions de Chinois aisés, qui gagnent en moyenne 40.000 dollars par an et par foyer - mais aussi pour nombre d'entre eux plus de 200.000 dollars, note le BCG. Soumis à une forte pression sociale pour « affirmer leur statut », ils sont désireux d'être « au top des tendances » et développent des goûts de luxe de plus en plus sophistiqués afin de se différencier, note le BCG. Or ces Chinois aisés seront 280 millions en 2020 et assureront à eux seuls 35% de la consommation chinoise et 5% de la consommation mondiale.
Le Fonds monétaire international (FMI) a réduit ses prévisions de croissance 2013 pour la Chine à 7,75% contre 8%, évoquant un contexte économique mondial qui reste fragile et des exportations en retrait, alimentant la crainte d'un ralentissement de la deuxième économie mondiale. L'annonce du FMI fait écho à d'autres prévisions publiées par un certain nombre d'économistes privés qui ont réagi à la publication de statistiques témoignant d'un ralentissement de la production industrielle et de l'investissement au mois d'avril ainsi qu'à une activité industrielle jugée décevante en mai. Or si l’industrie ne suit pas, le train de l’économie risque d’avancer en accordéon. Si la croissance recule, les plus aisés augmenteront la demande, les plus pauvres iront alimenter les millions de paysans chassés de leur campagne et qui s’agglutinent autour des villes. Avec à la clef une menace inflationniste. Le FMI a d’ailleurs recommandé à Pékin de freiner la croissance des financements alternatifs au crédit bancaire qui ont augmenté à un rythme à deux chiffres au cours des derniers mois, laissant craindre que le dynamisme du crédit n'alimente les tensions inflationnistes. L’institution qui poursuit dans une étude : « L'économie chinoise doit faire face à d'importants défis. En particulier la croissance rapide des financements à l'économie (total social financing - TSF) qui soulève des inquiétudes sur la qualité des investissements réalisés et sur les capacités de remboursement des emprunteurs. » Les autorités monétaires chinoises ont introduit le concept de TSF pour appréhender l'ensemble des financements à l'économie qui ne recouvrent plus le seul crédit bancaire. Le TSF prend ainsi en compte les émissions d'actions et d'obligations, les prêts consentis par l'intermédiaire de fonds fiduciaires et les acceptations bancaires ou promesse de paiement futur garantie par une banque.
La force de frappe de 1,3 milliard d'habitants, un grand potentiel de développement, la demande gigantesque sont des atouts fragiles. La disparité même de la population, porte en elle un danger pour son développement. Mais les plus grandes alliées de la Chine sont, sans doute, les grandes puissances qui ont dominés un jour ou l’autre le monde. Dans l’histoire, les grands empires sont souvent morts riches, repus et vivant dans la terreur de se voir envoler leur fortune. Ce fut vrai de l’empire romain ou de l’Espagne par exemple…
Antoine Laray
Journaliste économique et financier