Les jeux dangereux de la finance
Publié le Par Un Contributeur
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On retiendra de l'actualité de la crise financière cette semaine deux informations qui sont parvenues à se glisser jusqu'à nous, entre quelques ponts : mise en oeuvre rapide de l'Union bancaire et scandale du Libor - Par Antoine Laray
Mardi, Wolfgang Schauble, le ministre allemand de l'Economie, a promis une mise en œuvre rapide de l'Union bancaire, sur la base des traités européens existants... Ce projet, sur lequel les dirigeants de l'UE se sont mis d'accord en juin 2012, prévoit la création d'un "superviseur unique" pour la zone euro, sous l'égide de la Banque centrale européenne (BCE), et la mise en place d'un mécanisme de "résolution" destiné à gérer le démantèlement éventuel d'établissements en grande difficulté.
Il n'y a guère que quelques banquiers pour penser ne pas avoir besoin d'une autorité de contrôle. Au jeu de l'Oie de la "Haute finance", on avance plutôt à reculons. Pour une case "Union bancaire", vous pouvez rejouer. Mais combien de cases "Subprime", " CDS", "Madoff" vous renvoient à la case départ ? On ne désespère pas... Vous voilà à la case "Bonus" et vous devez tirer la carte chance (ben oui dans mon jeu de l'Oie, on tire des cartes) :
Votre banque perd 6,47 milliards d'euros en 2012. Combien pouvez espérer toucher si vous faites partie des 2880 personnes dont les activités professionnelles ont potentiellement une incidence significative sur le profil de risque de votre banque : 100.000 euros en moyenne ou davantage ?
Votre banque va licencier 1000 salariés, vous pensez toucher combien ? 168 000 euros en moyenne, davantage ?
Continuons ! Pas de chance, c'est la case "Libor", la seconde information du week-end dernier. New York veut retirer à Londres l'activité des transactions interbancaires entachées d'un scandale qui laisse perplexe. Ca sent le repas des fauves !
C'est le scandale du Libor.
Les banques quotidiennement négocient entre elles quantité de produits financiers des plus complexes au simple découvert de votre carte de crédit en passant par les emprunts hypothécaires etc. 300.000 milliards d'euros de produits financiers s'échangent ainsi quotidiennement. Qui dit échange dit taux qui définissent le prix auquel les banques se prêtent de l'argent, et donc indirectement ceux des crédits aux ménages et aux entreprises.
C'est le rôle du Libor (London Inter Bank Offered Rate) qui couvre ainsi dix devises différentes et quinze échéances allant de un jour à un an.
En général un taux se calcule en fonction de l'offre et de la demande. Et bien là pas du tout !
Chaque jour, à 11 heures (heure de Londres), chacune des 16 grandes banques internationales - dont Barclays, HSBC et Royal Bank of Scotland côté britannique, l'allemande Deutsche Bank, la suisse UBS, les américaines JP Morgan, Citigroup ou encore Bank of America, et les françaises BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole - annonce sans négociation le niveau de taux auquel elle estime devoir emprunter auprès des autres banques du panel. L'agence Reuters compile, pour le compte de la British Bankers' Association (BBA), les seize estimations. Elle fait la moyenne des taux sans tenir compte des taux extrêmes. Le taux final est rendu public, avant midi par la BBA.
Seulement voilà, en 2008, la crise qui allait emporter la banque Lehman, fait s'envoler les taux d'intérêts. Logique ! On n'emprunte plus sur le marché obligataire. La machine financière ripe et se bloque... Euh enfin presque, puisque du côté du Libor, les taux interbancaires demeurent incroyablement bas. Les banques pouvaient continuer à trouver des ressources à des taux avantageux. Comme l'explique Rama Cont, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des marchés financiers, "ces manipulations ne pouvaient qu'être issues d'une collusion entre banques partageant des intérêts communs" (Le Monde 10 juillet 2012).
L'enquête fut promptement menée et la note fut salée pour certaines banques : 1,1 milliard d'euros pour UBS, 400 millions pour Royal Bank of Scotland, 362 pour Barclays. Au total, 12 milliards d'euros d'amendes pour 11 grandes banques internationales et en prime, le directeur général de Barclays fut prié de céder la place (Il y eut une autre malversation en 2005, mais je fais court).
Il demeure une autre question : comment gérer les transactions interbancaires ? Chacun place ses billes, Wall Street aussi. Face à un système financier guère raisonnable, le ralliement de l'Allemagne à la mise en place rapidement d'une union bancaire en Europe, c'est-à-dire d'une supervision des banques européennes, est une étape importante mais ne réglera pas tout. Une des leçons de la crise est justement le constat d'un incroyable désordre dont on se demande jusqu'où il nous mènera.
Rendez-vous compte ! Si l'on ne sait plus gérer le découvert de votre carte bancaire...
Antoine Laray
Journaliste économique et financier