Les animaux à sang froid sont très sensibles aux modifications de la température puisqu'ils sont incapables de la réguler eux-mêmes ; tous leurs processus fondamentaux tels que la reproduction, la croissance, la maturation et la migration en sont fortement dépendants. L'augmentation de la température de l'eau se traduit par une diminution de la quantité d'oxygène qu'elle contient, ce qui conditionne purement et simplement la survie des poissons. En ce qui concerne les fleuves, ces phénomènes sont toujours amplifiés par d'autres changements, tous directement imputables à l'homme : surpêche, aménagements des cours d’eau, pollutions, dégradation de l’habitat, introductions d’espèces, fragmentation liée aux barrages, etc.
L'heureux temps du saumon sauvage
Il faut prendre conscience que dorénavant, la plupart des espèces de poissons migrateurs effectuant leur cycle de vie entre la mer et la rivière sont en danger. En 2015 par exemple, les Américains ont constaté une baisse de moitié de la population de saumons dans le fleuve Columbia. Cela nous rappelle qu'il n'y a pas si longtemps, les rivières françaises regorgeaient, elles aussi, de saumons, à tel point que l'on précisait dans certains règlements d'entreprise que le patron ne pouvait pas servir du saumon à la cantine plus de trois fois par semaine. On estime que les petits fleuves côtiers bretons produisaient 4 millions de tonnes de saumon au début du XXe siècle !
Aujourd’hui les Suisses, par exemple, s’inquiètent sérieusement du devenir de leurs truites. Par rapport à la nourriture des populations locales en Europe, ces disparitions restent néanmoins anecdotiques, car cette activité est dorénavant essentiellement récréative et non plus alimentaire.
La folle vitesse du… phytoplancton
Mais il y a plus grave : les menaces sur le poisson de mer. Sans parler de la surpêche, phénomène largement incontrôlable et tout à fait dramatique, on observe trois facteurs limitants dus aux conditions atmosphériques : migration, réduction de la taille et augmentation de la toxicité. Le tout risque fort de faire disparaître purement et simplement la majorité de la ressource halieutique. Il ne nous restera plus que le poisson d'élevage…
Malgré le fait que les eaux de surface des océans se réchauffent trois fois moins vite que les milieux terrestres, les mouvements y sont très rapides, en moyenne de 75 km par décennie, car il y est plus facile pour les organismes vivants de s’y déplacer pour retrouver des eaux plus fraîches. Ceci n’est qu’une moyenne : le phytoplancton migre actuellement à la vitesse incroyable de plus de 400 km par décennie, et certains poissons osseux comme la morue ou le zooplancton invertébré de plus de 200 km. Même les crustacés, les mollusques et les algues vivant au fond de la mer franchissent plusieurs dizaines de kilomètres par décennie (alors que les animaux terrestres migrent en moyenne de 6 km au cours de cette période). Mais cette fuite en avant aura une fin : on ne pourra pas stocker tous les poissons de l'océan près des pôles.
De plus, les coraux des mers tropicales, qui eux ne peuvent pas bouger, ne pourront donc plus servir de nourricerie pour les poissons brouteurs. Il faut donc s’attendre à de graves difficultés pour la pêche tropicale qui est une source essentielle de nourriture pour les pays du sud (et pour ceux du nord qui vont y piller les ressources avec leurs bateaux usines). Alors qu’ils sont aujourd’hui des capteurs nets de carbone atmosphérique, les récifs coralliens pourraient devenir émetteurs dès 2030.
Acidité des eaux, polluants…
Le manque d'oxygène devrait également diminuer le développement et donc la taille des poissons, dans une fourchette comprise entre 14 et 24 % d'ici 2050.
De plus, le quart du CO2 émis par les activités humaines (25 millions de tonnes par jour) est absorbé par les océans. Avec le réchauffement, l’océan en absorbe davantage, ce qui est en soi une bonne chose… sauf que cela accentue l’acidité des eaux. Cette dernière a augmenté de 30 % depuis le début de la période industrielle, il y a 250 ans. Si, comme il est prévu, ce phénomène s'accélère au cours des quatre prochaines décennies, elle pourrait augmenter de 120 % d'ici à 2060, soit un niveau supérieur à ceux qu'a connus notre planète au cours des 21 derniers millions d'années. Or, les précédents épisodes d'acidification de l'océan ont donné lieu à des extinctions massives d'espèces.
D’ores et déjà, de nombreux organismes fabriquant un squelette ou une coquille calcaire ont été affectés, comme les moules et les huîtres. Mais il y a plus grave : la disparition des coraux, où vivent 30 % des poissons et qui protègent les côtes de la houle et des tempêtes : ils blanchissent, puis s’effondrent rapidement. Cela a commencé par les coraux les plus superficiels, qui ont diminué de moitié dans les trente dernières années, mais d'ici 2100, 70 % des coraux profonds se trouveront également baignés dans des eaux corrosives pour leur squelette.
Ce n'est pas tout : lorsque les eaux se réchauffent, les poissons absorbent davantage les polluants, et en particulier le mercure, lequel se concentre tout du long de la chaîne alimentaire. C'est ainsi que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) met en garde contre leur consommation excessive, plus particulièrement de ceux qui se nourrissent d’autres poissons, accumulant alors les produits toxiques ingérés par leurs proies. L’espadon, le marlin, le requin et la lamproie sont maintenant fortement déconseillés à la consommation.
N.B. : les intertitres sont de la rédaction.
À lire : Réchauffement climatique : l'agriculture victime, cause et… solution (Paris Dépêches, le 28 octobre 2015)
À venir, le mardi 10 novembre : L'agriculture de nombreux pays tropicaux sera fortement menacée