La France, ce paradis fiscal qui ne s’assume pas.
Publié le Par Jennifer Declémy
La France, pays où on paie le plus d'impôts et où on fait peur aux riches ? Les préjugés ont la vie dure mais pourtant, ces dix dernières années la situation a totalement évolué.
Qui peut se plaindre qu’on paie trop d’impôts en France ? Tout le monde, et surtout les plus riches à entendre l’UMP, le FN, les patrons et les classes les plus aisées qui ont fait des gorges chaudes en entendant la proposition de François Hollande que d’imposer les revenus supérieurs à un million d’euro à 75%. Une peccadille qui rapporterait entre 200 et 300 millions d’euros à l’état…très loin des cadeaux fiscaux que l’on accorde depuis dix ans à l’électorat le plus fortuné.
Depuis cinq ans on pavoise sur Nicolas Sarkozy, « le président des riches », étiquette que lui-même et son parti dénoncent vigoureusement. Ils ont en partie raison, car ce mouvement de baisse des impôts pour les plus fortunés n’a pas commencé en 2007, mais en 2000 sous le Gouvernement Jospin, et a redoublé d’intensité sous le quinquennat Sarkozy. En douze ans, les recettes publiques ont été grevées de pas moins de 3% du PIB pour cause de baisse d’impôts, soit la bagatelle de près de 120 milliards.
Les spécialistes, avocats fiscalistes et membres de la Cour des Comptes sont unanimes : depuis 2000 la France est devenue un véritable paradis fiscal pour ceux qui savent trouver les bonnes niches et manier le code des impôts de manière à défiscaliser leurs revenus. Les avocats fiscalistes ne s’y sont pas trompés d’ailleurs, eux dont la profession ne connait nullement la crise mais au contraire une augmentation du nombre de ses membres.
Actuellement en France le taux de prélèvements obligatoires atteint les 45%, mais il ne touche pas tout le monde de la même manière. Ainsi, les PME se voient imposées à environ 34,3%, tandis que les entreprises du CAC 40 elles le sont à 8%...quand ce n’est pas 0%. Et on retrouve la même logique entre les classes moyennes et les classes fortunées, avec une variété de plus de 500 niches fiscales qui permettent aux plus riches d’obtenir abattements et exonérations en tout genre, et par exemple à une Liliane Bettencourt de n’être imposé qu’à 9%, alors qu’une partie de ses revenues est dissimulée en Suisse.
Plusieurs rapports, émanant d’organismes très sérieux, ont pointé du doigt ce décalage évident et cette injustice fiscale qui ne fait que s’accroitre. Ainsi, un rapport publié en 2011, et émanant du conseil des prélèvements obligatoires, relève que 256 des ménages les plus aisés de France ont un taux d’imposition de 15% : il était de 35% en 2000. Dans le même temps, les classes moyennes et populaires ont vu la TVA augmenter de plusieurs points, de même que les complémentaires santés ou même simplement le prix de l’essence et de l’alimentation. Et un des rapports établissant cette situation fiscale pour le moins paradoxale a été rédigé par Gilles Carrez, rapporteur UMP de la commission des finances, qui déplore la perte de 120 milliards d’euros entre 2000 et 2010 suite aux baisses d’impôts successives, ce qui amène le constat suivant : "depuis 1999 l'ensemble des mesures nouvellement prises en matière de prélèvements obligatoires ont ainsi réduit les recettes publiques de près de trois points du PIB : une première fois entre 1999 et 2002, une deuxième fois entre 2006 et 2008 (...) en l'absence de baisse des prélèvements la dette publique serait d'environ vingt points plus faible qu'elle ne l'est en réalité, générant ainsi une économie annuelle de charges d'intérêt de 0,5 points du PIB". Autrement dit, sans les baisses d'impôts, la dette française respecterait les critères de Maastricht et des plans de rigueur n'auraient pas été nécessaires.
Selon des experts, cités récemment dans Marianne (numéro 778), « le système fiscal français, avec ses niches, permet aujourd’hui, si on s’y prend bien, de parvenir à une imposition faible voire nulle », ce que des avocats fiscalistes confirment sans peine, faisant même la liste des douze années de cadeaux fiscaux que l’on vient de connaitre : bien entendu le bouclier fiscal, qui a rapporté quelques 591 millions d’euros à ces 14 443 bénéficiaires, toutes les niches fiscales créées depuis (environ 75 milliards, dont 30 milliards pour les entreprises), une loi de 2006 qui abaisse le taux d’imposition de 48 à 40% (perte de 11 milliards d’euros), la TVA pour les restaurateurs (au moins 3 milliards de perte) ou encore la loi Dutreuil qui permet aux actionnaires d’une société de baisser de 75% l’ISF à condition de se réunir pendant deux ans dans un pacte d’actionnaire.
Depuis dix ans en France l’impôt sur le revenu (que ne paient pas 48% des ménages français), est en réalité devenu dégressif, avec un accroissement flagrant des inégalités, entre ceux qui savent profiter du système pour payer le moins d’impôts possibles, et les classes moyennes, qui se voient taxées de plein fouet. Les entreprises également sont concernées par ce phénomène, avec des sociétés du CAC 40 dont 17 ne paient pas un seul impôt en France et de PME imposées à 34,3%, et l’expert Michel Thaly estime que « depuis 1987, et la mise en place de la fiscalité des groupes et son cumul avec la législation sur les holdings, les entreprises peuvent défiscaliser une partie importante de leur dette ».
Extrêmement compliqué et devenu profondément injustice, le système fiscal français n’est pas à ce jour un instrument de justice sociale qui permettrait aux ménages de donner à l’état selon leurs revenus, d’où un sentiment grandissant de frustration pour les classes moyennes qui doivent payer plus d’impôts que les plus fortunés et qui ont le sentiment d’être matraqué fiscalement par le pouvoir en place. De nombreuses études font part d’un sentiment de peur croissant chez cette population qui, crise oblige, craint pour l’avenir et notamment celui de ses enfants. Une réforme serait nécessaire pour que la France cesse d’être un paradis fiscal pour les plus riches, mais pour le moment, aucun des candidats ne proposent une réforme suffisamment ambitieuse dans ce domaine.