La presse nationale se fait l'écho de nombreuses réactions après le départ forcé de Delphine Batho. Bien sûr, elle essuie les larmes (parfois de crocodile…) des responsables Verts, mais se focalise sur la personnalité de l'ex-ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie, sans s'attarder outre mesure sur la brutalité avec laquelle le Premier ministre, en recherche permanente de charisme et trop souvent chahuté par ses ministres, a exigé le renvoi de ce supposé maillon faible du gouvernement, pour asseoir enfin son autorité. La seule différence vient de nos consœurs qui voient là un nouvel épisode du machisme politique dont souffrent, depuis trop longtemps, nos élus en costard-cravate. Le sénateur EELV Jean-Vincent Placé n'a-t-il pas affirmé lui-même : "On vire les femmes, c'est plus facile"…
Voici donc la longue liste des inexcusables fautes commises par Delphine Batho : elle ne séduit pas (l'ont-ils vue seulement de près ?), elle est solitaire, elle a épuisé ses collaborateurs, elle n'aime pas les compromis. Pourquoi s'insurge-t-elle contre un "mauvais budget" alors qu'elle a refusé de se battre, qu'elle aurait pu "faire de la pédagogie" (sic), qu'elle aurait sans doute réussi à compenser ses pertes de crédits en gagnant plusieurs arbitrages fiscaux ou autres, commentent… les socialistes. Et tout ce beau monde parisien de rappeler que Delphine Batho avait déjà eu des relations difficiles avec la Garde des Sceaux et qu'elle avait dû quitter précipitamment le ministère de la Justice. Il est vrai que Christiane Taubira a la réputation d'être très partageuse et d'avoir un doux caractère…
"Bosseuse", "courageuse"
Brutal changement de température dans le Sud Deux-Sèvres. Les habitants du Pays mellois sont effarés par toutes ces critiques. Beaucoup ont une image très positive de Delphine Batho qu'ils ont réélue, dès le premier tour des élections législatives de juin 2012. "N'importe qui peut lui adresser la parole, elle se laisse facilement aborder", confie un Deux-Sévrien au quotidien régional La Nouvelle République. Ici, on la qualifie de "bosseuse", de "courageuse", de "battante". Certains louent la qualité de ses interventions, son souci de travailler à fond les dossiers. Effet boomerang : le gouvernement est accusé de trahir la gauche ou l'écologie ou les deux à la fois. "On ne les a pas élus pour qu'ils nous fassent de telles embrouilles", se plaint celui-ci. "Elle aurait fait l'ENA et été dans les soupers à Paris, ça serait pas arrivé !" observe, fine mouche, celle-là. Même à droite, on ne sent pas envers Delphine Batho le rejet dont a été l'objet Ségolène Royal lorsqu'elle était députée de la circonscription.
Preuve de l'attachement d'une bonne partie de la population : les messages de sympathie affluent à la permanence du député socialiste Jean-Luc Drapeau qui va donc céder sa place à l'ex-ministre.
Une seule question embarrasse les habitants du Sud Deux-Sèvres : les rapports entre Delphine Batho et Ségolène Royal. Le climat n'en finit pas de se détériorer entre les deux femmes. Or, pendant longtemps, l'ancienne candidate à l'élection présidentielle (et aujourd'hui présidente du Conseil régional Poitou-Charentes) a été choyée par les Mellois. Leur petite cité était même présentée par beaucoup comme le "fief " de Dame Ségo. Maintenant que Delphine Batho revient sur ses terres, l'opposition pourrait aboutir à un joli combat féodal !
Patrick Béguier est journaliste et écrivain. Il est membre de l'Association des journalistes parlementaires et conseiller éditorial de Paris Dépêches