Déclarations de patrimoine : râteaux édentés et dangereux
Publié le Par Patrick Béguier
Après le passage du cyclone Cahuzac, les déclarations de patrimoine des élus s'éparpillent un peu partout devant nos pieds. Il n'est pas sûr qu'après les avoir ramassées, les citoyens trouvent le sol bien nettoyé.
L'idée a priori semble répondre au louable souci de transparence de notre vie politique : en rendant publiques leurs déclarations de patrimoine, nos ministres et certains élus nous garantissent qu'ils agissent pour le seul bienfait de la République et qu'ils ne prendront dans la poche de Marianne que les compensations financières justifiées par le difficile exercice de leurs mandats. Certains ont même affiché leur bulletin de paie ou leur déclaration de revenus, précisé la cote Argus de leur berline familiale ou compté le nombre de kayaks dans leur hangar à bateaux. Nos écrans d'ordinateur se remplissent de livrets A ou autres comptes d'épargne. On n'attend plus que l'estimation des bijoux de la vieille tante. La vertu est nôtre, citoyens ! Foi d'écureuil !
Le problème est là, justement. Pouvons-nous ajouter foi à toutes ces déclarations ? Qui nous dit que ce député a estimé sa maison au juste prix ? Qui nous assure que ce sénateur n'a pas été victime d'un regrettable oubli dans sa liste de mariage avec la Nation ? Sans oser parler de celles ou ceux qui n'hésiteront pas à dissimuler une partie de leur patrimoine. Tout ce déballage n'aurait de sens que si un contrôle pouvait s'exercer en aval. Il existe bien une Commission pour la transparence financière qui, depuis 1988, oblige une bonne partie de notre personnel politique à déclarer son patrimoine en début et en fin de mandat. Mais elle n'a pas la possibilité de contrôler la véracité des données fournies et les déclarations restent confidentielles. Il faudra étendre ses compétences et ses pouvoirs ou créer un autre organisme de contrôle (ce qu'a annoncé, mais pour plus tard, le président Hollande) pour que, réellement, on puisse établir la fameuse "transparence de la vie politique". Question : qui seront les plus que vertueux qui apprécieront l'évolution du patrimoine des soi-disant vertueux ?
À ces interrogations s'ajoute une inquiétude. Il est dangereux de laisser des informations personnelles, voire intimes, voleter au vent sous les regards de tous. Il est exagéré d'invoquer, comme plusieurs responsables politiques, la "terreur" ou le "voyeurisme" qui pourraient s'ensuivre, mais il est vrai que certains de nos concitoyens ne manqueront pas de tirer parti, pour des raisons plus ou moins honorables, des documents publiés. Un tel affirmera, par exemple, que la maison du député de sa circonscription a été volontairement sous-évaluée. Il le sait, pardi ! Il a un ami dans l'immobilier ! Et que la rumeur monte, monte !…
On peut imaginer toutes sortes de dérapages. N'oublions jamais qu'en France, pendant l'Occupation, la délation s'est portée à merveille et que des innocents en ont subi les terribles conséquences.
* Patrick Béguier est journaliste et écrivain. Il est membre de l'Association des journalistes parlementaires et conseiller éditorial de Paris-Dépêches.