Députés et conflits d’intérêts
Publié le Par Julie Catroux
En France, la question des conflits d’intérêts qui peuvent peser sur les députés est encore un sujet tabou. Entre absence de législation, langue de bois et lobbies, les conflits d’intérêts sont bien présents au Palais Bourbon.
Le candidat François Hollande l’avait promis: les cumuls de mandats seront désormais proscrits, les salaires du chef de l’Etat et des ministres diminués en raison de la restriction budgétaire, mais qu’en est-il des conflits d’intérêts qui peuvent peser sur les parlementaires et plus particulièrement les députés ? La question reste en suspens car, à ce jour, seules quelques lois viennent limiter les conflits d’intérêts des locataires du Palais Bourbon. Une situation qui ne manque pas de causer quelques sérieux problèmes d'éthique.
La loi et les conflits d’intérêts
Le conflit d’intérêt est défini par un rapport du Conseil d’Etat de 2011 comme « une situation d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé d’une personne qui concourt à l’exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par sa nature ou son intensité, peut raisonnablement être regardé comme étant de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions ». Tout d’abord il existe plusieurs incompatibilités entre le mandat de député, les autres mandats électoraux et la vie professionnelle. Les lois organiques du 30 décembre 1985 et du 5 avril 2000 régissent ces interdictions. Par exemple, un député ne peut à la fois siéger au Palais Bourbon et au Parlement européen. Cette incompatibilité vaut également pour le Sénat. Du côté des fonctions privées, même si un député a en principe le droit d’exercer sa profession, il ne peut cumuler avec son mandat des fonctions de direction dans une entreprise privée qui, soit bénéficie d’avantages financiers de l’État ou d'une collectivité publique, soit travaille principalement pour lui ou encore fait publiquement appel à l’épargne.
Certes la loi règlemente les incompatibilités mais aucune législation n’existe concernant certaines professions qui peuvent être à l’origine de conflits d’intérêts. Prenons l’exemple flagrant d’un avocat élu à l’Assemblée nationale. D’un côté, sa formation de juriste est un élément positif qui aide le député à mieux appréhender les propositions de loi et le travail parlementaire. D’un autre côté, ce dernier peut influencer sur le droit positif en prenant part à certaines modifications de la loi. Mais si ces changements sont fait dans le sens de la justice, le député est dans son droit comme le confirme Denys Robiliard, député socialiste du Loir-et-Cher et avocat. Cependant si ce dernier cherche à changer la loi dans son propre intérêt, le conflit d’intérêts peut être relevé.
Avocat et député : le cas de Jean-François Copé
Le cas de Jean-François Copé semble le plus parlant. Grâce à son parcours politique, l’actuel secrétaire général de l’UMP et député de Seine-et-Marne a obtenu le droit de s’inscrire au Barreau de Paris. Depuis un décret en date du 27 novembre 1991, les magistrats, professeurs et docteurs en droit, auxiliaires de justice, ainsi que des juristes d’entreprises, hauts fonctionnaires ayant exercés pendant huit années des activités juridiques et titulaire d’un diplôme de droit de niveau master 2 ou équivalent peuvent en effet être dispensés de la formation théorique et pratique ainsi que du certificat d’aptitude à la profession d’avocat.
Jean-François Copé n’a pas oublié ce décret et en a largement profité peu de temps après son éviction du gouvernement par Nicolas Sarkozy en intégrant le très réputé cabinet d’avocats d’affaires Gide-Loyrette-Nouel comme collaborateur à temps partiel pour la modique somme de … 20 000 euros par mois ! Le revenu perçu par l’ancien ministre est certes considérable mais les conflits d’intérêts qui existent entre sa profession et son mandat de député offrent de quoi s’alarmer sur l’indépendance des députés. « Le cas de Jean-François Copé a beaucoup fait jaser dans les travées de l’Assemblée. En juin 2009, alors qu’il est collaborateur du cabinet d’avocats d’affaires Gide Loyrette Nouel, conseil de la Caisse d’épargne, la loi relative à la fusion des Caisses d’épargne et des Banques populaires est adoptée par tous les députés du groupe UMP. Singulière unanimité » révèle en 2011 l’Expansion.
Jean-François Copé à l'Assemblée nationale le 11 mai 2011
A force d’accusations récurrentes sur le mélange des genres, Jean-François Copé a démissionné de son poste déclarant que « compte tenu de la charge de travail que constitue le secrétariat général et des nombreux déplacements à travers la France que j'effectuerai, j'ai décidé de quitter mes fonctions au sein du cabinet d'avocats (Gide-Loyrette-Nouel, ndlr) une fois passé le délai de prévenance » sans pour autant renoncer à la profession d’avocat.
Mais le respect de l’éthique ne semble pas être la qualité première du secrétaire général de l’UMP. Après s’être rabattu sur un cabinet plus modeste, le député a souhaité faire part de son expérience à ses petits camarades en devenant l’instigateur du décret du 6 avril 2012 qui facilite les conditions d’accès à la profession d’avocat pour les politiques. Alors que des étudiants se tuent à la tache, seules quatre années d’études en droit et huit ans d’exercice de «responsabilités publiques» et de participation directe à «l’élaboration de la loi» seront nécessaires pour s’inscrire à un barreau. Les formations théoriques et pratiques passent à la trappe bien entendu. Mais à seulement quelques semaines des élections, ce décret a été très critiqué. «Il s’agit pour le gouvernement de ménager une porte de sortie honorable à ses parlementaires à trois mois d’élections législatives hautement incertaines», a déclaré a juste titre le sociologue Antoine Vauchez. Un élu de la République doit défendre l’intérêt général et un avocat doit défendre l’intérêt particulier de ses clients. Si les deux intérêts peuvent se rejoindre, ils se confondent rarement. Dans le cas contraire, le conflit d’intérêts est relevé.
L'existence de lobbies à l'Assemblée nationale
« Le lobbying est très bien développé en France. La différence avec les pays anglo-saxons, c'est que le sujet est tabou. Le Parlement ignore son existence. Mais en réalité, les lobbies sont très actifs auprès des parlementaires et des cabinets ministériels ». Telle est la conclusion de l’enquête menée par la journaliste Hélène Constanty dans son livre « Des députés sous influences ». Contrairement aux Etats-Unis où les lobbies font partie intégrante de la vie politique, en France le sujet reste « tabou ». Pourtant ils sont bel et bien présents à l’Assemblée nationale et nos députés de tout bord ne manquent pas d’être sollicités. « Les mieux organisés sont ceux qui représentent des intérêts liés à des décisions publiques : armement, contrats publics, médicaments. Traditionnellement, la viticulture et l'agriculture sont également actives et bien représentées au Parlement » assure Hélène Constanty.
Vincent Nouzille et Hélène Constanty, auteurs de "Députés sous influence"
Diners, invitations à des matchs de tennis ou de football, places de concerts, voyages, etc… autant de cadeaux que peuvent offrir les lobbies aux députés pour les amadouer et profiter de leurs bon vouloir. Cette pratique, courant dans certains pays est vivement critiquée en France. Mais ne nous ne voilons pas la face, ce n’est pas parce que les parlementaires et les sociétés restent muets sur le sujet qu’aucun échange de bon procédé n’a lieu. Alors que le registre officiel des « représentants d’intérêts » tenu par l’Assemblée nationale ne recense que 130 organisations, deux associations, Regards citoyens et Transparence Internationale, ont fait appel aux internautes pour éplucher tous les rapports parlementaires qu'ils ont pu trouver entre 2007 et 2010 et mettre en avant les lobbies. Au total, près de 5000 organisations ont été recensées ! Bien loin de la centaine établie par l’Assemblée nationale…
En tête de classement, ces associations ont constaté que les députés auditionnent principalement les organisations publiques (48,3 %). Viennent ensuite les organisations représentatives (20,9 %), dont les syndicats, puis le secteur économique privé, qui ne pèse que 16,4 %. Bien évidemment, parmi les entreprises les plus enclines à ce genre d’arrangement avec les députés ont retrouve EADS, EDF, Total, France Télévisions, GDF-Suez, Aire France, SNCF, Thales, Veolia et Bouyges.
Alors que c’est le cas au Parlement européen, l’association Transparence international demande un « vrai registre qui encadre réellement les pratiques du lobbying, qui référence les groupes d'intérêt et leurs expertises ». A l’heure actuelle, les députés doivent seulement s’acquitter d’un code de déontologie adopté en avril 2011 par le précédent gouvernement après l’affaire Woerth-Bettencourt. Les députés élus le 17 juin dernier doivent désormais publier leur situation financière et déclarer tous les voyages et cadeaux d’une valeur supérieure à 150 euros qui leur sont offert. «Les députés doivent agir dans le seul intérêt de la nation et des citoyens qu'ils représentent, à l'exclusion de toute satisfaction d'un intérêt privé ou de l'obtention d'un bénéfice financier ou matériel pour eux-mêmes ou leurs proches », précise le code de déontologie des députés.
La commission Jospin, qui planche actuellement sur la moralisation de la vie politique et va aborder des questions comme le cumul des mandats, ne semble pas pour le moment travailler sur les problèmes de conflits d'intérêt au Parlement. Pourtant, les exemples sont nombreux pour montrer que de réels problèmes existent dans ce domaine et qu'une réforme est désormais indispensable pour ranger au placard le mélange des genres. Le changement, au Parlement, c'est pour quand ?