France Politique

Doit-on avoir peur d’un futur « état PS » ?

Publié le  Par Jennifer Declémy et Julie Catroux

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C'est une question qui agite l'UMP depuis la défaite présidentielle, à savoir gagner les législatives pour imposer une cohabitation contraire à la tradition gaulliste et éviter un "état PS". Mais quels sont les risques justement ?

Faut-il voter pour l’UMP en juin prochain pour éviter le risque qu’un « état PS » ne se mette en place en France ? Une sorte de dictature dirigée par un François Hollande que l’on disait pourtant si mou durant la campagne ? C’est en tout cas un des principaux arguments de campagne de la droite qui ne veut surtout pas se retrouver dans le statut peu enviable qu’est celui de l’opposition, qui plus est parlementaire.

A entendre la droite, ce serait un véritable drame pour la vie politique française si la gauche conquérait également le Palais Bourbon. Ainsi, selon NKM, « la France, c’est un pays d’équilibre (…) il y a matière à rééquilibrer à l’occasion des élections législatives » ; pour Xavier Bertrand, « je demande qu’il y ait un vote d’équilibre » tandis que pour Nadine Morano « il faut évidemment dans une démocratie, un contre-pouvoir démocratique ».

Après la présidence de la république, les régions, le Sénat, les grandes villes, une bonne partie des départements et  probablement le Parlement, l’hexagone pourrait effectivement devenir un « Etat PS ». Mais les craintes de la droite sont-elles fondées ? En réalité, des contre-pouvoirs existent et permettront une opposition à la gauche.

Le nouveau premier ministre aura pour mission de composer un nouveau gouvernement. François Hollande souhaitant une ouverture, le gouvernement comprendra sans doute des politiciens issus d’autres partis que le Parti socialiste. Mais la droite ne fait pas partie bien évidemment de cette ouverture. Alors elle s’inquiète de voir la construction d’un Etat entièrement dirigé par la gauche. Le seul contre-pouvoir qui pourra limiter les décisions du futur gouvernement est le Conseil constitutionnel. Actuellement, tous ses membres ont été nommés par des personnalités de droite « qui n’apportent pas un franc soutien au nouveau Président élu » selon Serge Berstein, historien politique.

Jouant un rôle important, les  Sages peuvent être saisis dès lors que 60 parlementaires demandent à leur déférer n’importe quel texte législatif. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, cette possibilité de saisir le Conseil constitutionnel a été élargie aux citoyens. La seule modalité : être suffisamment nombreux. Le retrait de la loi sur le harcèlement sexuel en est l’exemple même. A l’origine, le procès de Gérard Ducray, conseiller municipal de Villefranche sur Saône et ancien député, condamné en première instance puis en appel pour harcèlement sexuel. Pourvu en cassation, son avocat à conteste la loi, par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité. La loi sera abrogée par le Conseil constitutionnel qui juge cette dernière trop floue. Contre-pouvoir solide, cette institution peut censurer une loi prise par la majorité parlementaire sur demande du gouvernement.

Les syndicats sont également considérés comme un contre-pouvoir, dans la mesure où ils ont la possibilité de s’exprimer au nom des travailleurs. Le gouvernement doit en effet prendre en compte les avis de la population. Si des milliers de personnes descendent dans les rues, il est préférable que le 1er ministre et son équipe tiennent compte de ce mécontentement.  « Lorsqu’un million de personnes sont descendues dans la rue sous François Mitterrand pour protester contre le projet de loi scolaire qui semblait mettre en cause l’autonomie de l’enseignement catholique, le président socialiste avait reculé, estimant que c’était un nombre dont il fallait tenir compte » rappelle Serge Berstein. Et les exemples sont nombreux dans notre histoire qui montrent le recul du pouvoir devant les sautes d’humeur des français.

Après cinq ans de relations tumultueuses avec Nicolas Sarkozy, les partenaires sociaux attendent beaucoup du nouveau président. Le chef de l’Etat constitue la promesse d’une nouvelle forme de dialogue social. Proposant une rencontre dès juillet, François Hollande semble vouloir instaurer une rupture et remettre au cœur du dialogue les syndicats et envisage d’inscrire dans la Constitution l’obligation de concertation avec eux avant de débuter tout texte relatif à leur domaine. Mais cette proposition ne fait pas l’unanimité : « Il n’y a nul besoin d'inscrire dans la Constitution qu'il faut nous consulter. En démocratie, cela doit se faire naturellement »  déclare Jean-Claude Mailly, patron de Force ouvrière. Pour Serge Berstein, « la proximité politique entre le pouvoir et les partenaires sociaux ne devraient pas amener les syndicats à s’abstenir de protester contre des mesures qui pourraient paraître néfastes à leurs clientèles ».

Enfin, l’Europe est elle-même un contre-pouvoir. Les décisions européennes dominent le droit national, les Etats européens doivent aligner leurs législations sur celle de l’Europe. Il sera alors délicat pour le président élu de remettre en cause le pacte budgétaire élaboré par l’Europe il y a seulement 2 mois. Dès son élection, Angela Merkel et Herman Van Rompuy ont d’ailleurs estimé que la renégociation de ce pacte ne pouvait avoir lieu rapidement. « Si le gouvernement s’oppose au droit européen, les institutions communautaires pourraient alors prendre des sanctions financières contre la France. Il est donc bien possible qu’il y ait un certain nombre de difficultés pour notre pouvoir exécutif de faire passer certaines mesures » assure Serge Berstein avant d’ajouter « sauf si le Conseil européen venait à modifier son propre fonctionnement au vu de l’opposition d’un certain nombre d’Etats membres ».

Après la victoire de la gauche aux municipales de 2008, puis les élections européennes de 2009, des régionales de 2010 et des sénatoriales de 2011, le succès du PS s’est construit progressivement avant l’accès à la présidence. Ces contre-pouvoirs vont-ils réussir à exister et à s’imposer ? Pas  sûr que les socialistes osent s’opposer. « La seule opposition interne sera celle de l’extrême gauche, verts et communistes, qui continuent à nourrir le terreau de la gauche dans sa diversité » selon l’historien politique.

La peur secouée par l’UMP devant cette possibilité d’accorder tous les pouvoirs à la gauche est d’autant moins fondée que, longtemps sous la Cinquième République, ce fut le cas pour la droite. Rappelons que jusqu’en 1981, la gauche ne conquit pas plus la présidence que l’Assemblée nationale, et que le Sénat ne devint socialiste qu’en 2011 ; dans les années 1970 la droite possédait ainsi tous les pouvoirs, idem pour les années 1993-1997 : en 1993 un tsunami RPR entra en effet au Palais Bourbon, pour être suivi par un président de droite deux ans plus tard, tandis qu’au niveau local la droite rafla tout en 1992 (une seule région restait alors dans le giron de la gauche qui possédait seulement 20 départements contre 75 à droite et ne dirigeait que deux grandes villes, Lille et Nantes). Ce serait donc une première fois pour le PS certes, mais l’UMP est très bien placée pour connaitre cette situation que son ancêtre, le RPR, expérimenta pendant de très nombreuses années. Or, si la situation politique n’était certes pas exempte de tout défaut, l’on ne vit pas pour autant le parti au pouvoir se transformer en une espèce de dictature antidémocratique.

Enfin, réclamer avec force une cohabitation quelques jours seulement après la désignation du nouveau président par les français dégage une étrange impression, comme si le choix des français dimanche avait été mauvais, erroné, et qu'il fallait donc en vitesse le modifier pour éviter que la France ne sombre dans le chaos. Comme si, finalement, la légitimité de François Hollande, élu par le suffrage universel direct, était remise en question, d'autant que certaines déclarations d'élus UMP laissent songeurs.

« Je suis en rage, vous ne pouvez pas imaginer. Ce type ne mérite pas d’être où il est ! » assène Maryse Joissains-Massini, la maire UMP d’Aix en Provence réagissant à l’élection de François Hollande, dans une vidéo mise en ligne par un média local, Aix City Local News. La maire ne s’arrête pas là et critique même le nouveau chef de l’Etat sur son physique, « En tout cas, physiquement, il ne donnera pas l'image d'un président de la République [...] J'aurais aimé un président qui ait plus de prestance et pas qu'il agite ses petits bras comme il le fait dans tous ses meetings, parce que ça me paraît extrêmement ridicule » déclare t-elle. Multipliant les attaques, cette élue va jusqu’à remettre en cause la légitimité du président en adressant une requête au Conseil constitutionnel demandant l’annulation de l’élection présidentielle. Ses motifs ? « Le dépassement des comptes de campagne », « la propagande abusive ayant entaché fortement l'équilibre du scrutin » et « la complicité d'infraction à la loi syndicale » évoquant le soutien « du secrétaire général de la CGT et de ses troupes ». Dans son argumentaire, l'avocate évoque notamment « un lynchage médiatique de Nicolas Sarkozy » et déplore que les primaires socialistes aient « mobilisé les médias pendant plus de quatre mois ».

Mais comment peut-on contester la légitimité d’un président élu démocratiquement ? Elu au suffrage universel direct depuis 1962, la légitimité des présidents de la République française semble difficile à remettre en cause. Le vote est l’expression même des citoyens. Affirmer que le président de la République n’est pas légitime revient à refuser le vote des citoyens. Alors comment un citoyen, qui plus est maire peut contester une élection présidentielle ? Cette requête adressée au Conseil constitutionnel est totalement incompréhensible et malvenue de la part d’une élue.

Certes nous pouvons regretter que la gauche accède à la tête de l’Etat, que celui-ci soit quasiment dirigé entièrement par les socialistes (Elysée, Sénat, Régions, probablement l’Assemblée nationale) mais cette raison n’est pas suffisante pour contester une telle légitimité issue du vote. Le système est ainsi conçu que les Français, après avoir élu leur président, « disposent de la capacité de calibrer la marge qu’ils lui accordent. Ils peuvent donner à François Hollande, au choix, une majorité relative ou absolue, étroite ou large, une majorité composite ou une majorité que les socialistes atteindraient seuls » analyse Guy Carcassonne, professeur en droit public. Lors des prochaines échéances locales, les citoyens pourront faire connaitre leur avis, et pourront notamment sanctionner le Gouvernement socialiste s'ils estiment que celui-ci n'a pas effectué son travail correctement. 

« On ne peut leur laisser tous les pouvoirs » ne cesse de répéter Jean-François Copé depuis la semaine dernière, comme si, finalement, la gauche n’était pas légitime pour exercer le pouvoir. Une conception bien étrange de la démocratie.







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