Politique liquide
Publié le Par Patrick Béguier
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Beaucoup de commentateurs s'interrogent sur les va-et-vient de programmes et de personnalités politiques. Ils se demandent si la France n'en ressortira pas complètement déboussolée. Mais le problème est peut-être plus grave encore.
Le sociologue Zygmunt Bauman (1925-2017) qualifiait les sociétés postmodernes de "liquides". Des sociétés où les choix individuels fluctuent rapidement, où les relations sociales deviennent impalpables, où la permanence devient quasiment impossible.
Je me demande si on ne pourrait pas transposer cette analyse à la vie politique française, tant nos concitoyens semblent naviguer d'un pôle à l'autre, tant les partis eux-mêmes concoctent des bouillies démocratiques où les substrats idéologiques ne restent qu'à l'état de traces, tant on sent à quel point ils n'ont plus de repères stables à donner ni de perspectives claires à tracer. C'est l'heure des mélanges, du grand fourre-tout.
Ici, c'est Marine Le Pen qui, à force de "dédiaboliser" le RN, va bientôt proposer une politique économique et sociale d'extrême gauche, là, c'est Guillaume Peltier, des Républicains, qui veut créer une Cour de sûreté de la République excluant la possibilité de faire appel, bafouant de facto l'état de droit, ici encore, c'est Fabien Roussel, le candidat communiste à la présidentielle de 2022, qui devient l'avocat d'une politique sécuritaire digne de la droite dure, c'est aussi Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, qui évoque un "droit de regard" de la police sur les peines prononcées par la justice (avant de… s'excuser), sans oublier Jean-Luc Mélenchon qui tente d'attraper au vol les écologistes avec son filet troué.
Quant à Emmanuel Macron, il a tout fait pour brouiller les cartes. Il a voulu détruire les partis de gouvernement traditionnels, mais sans réussir à faire émerger le sien. La République en Marche ne parvient pas à s'enraciner dans le paysage politique. Le "ni droite, ni gauche" aboutit à la confusion et laisse beaucoup de Français pour le moins perplexes. Sa philosophie même est prise dans une terrible contradiction : lui qui, dans son livre Révolution (2016), prônait la liberté de l'individu acteur de son propre avenir a dû, après le mouvement des gilets jaunes, reconnaître les mérites de l'action collective et de la solidarité sociale et territoriale.
Solidité et glaciation
Dans la réalité, la politique vit au rythme des sondages, qui eux-mêmes varient, et au diapason des réactions d'une opinion changeante. Ainsi, c'est tout un continuum de fluctuations allant des citoyens à nos représentants et inversement, qui aboutit à cet état liquide.
Caricature de "liquidité" : Damien T., le gifleur du président de la République ! Influencé par l'extrême droite, "dans la mouvance des gilets jaunes", mais que ne choque pas la lecture de Mein Kampf devant un drapeau de la révolution bolchevik, passionné par le Moyen Âge, les arts martiaux japonais… Le désordre intellectuel complet ! Un paumé !
Le danger, c'est que, profitant de cette liquidité, les faux prophètes, les complotistes de tout poil, les groupes sectaires ne tentent de donner des certitudes là où il n'en existe pas, de montrer l'illusoires rochers où pouvoir s'accrocher. Il existe donc une réelle menace pour notre démocratie. Si l'on ajoute à cela le climat de violence et les éruptions de haine des réseaux sociaux (ou de désocialisation ?) qui font, hélas, notre actualité, on a envie de vite retrouver un peu de "solide".
Mais gare à la tentation du régime autoritaire ! La solidité n'est pas la glaciation de la liberté.
Patrick Béguier
Journaliste et écrivain
Dernier livre paru : Mer Courage
chez Geste éditions