Fondamentalement, rien ne change. Manuel Valls qui, selon certaines rumeurs, était fragilisé au point de perdre Matignon, reste premier ministre. Les principaux piliers de l'actuelle action gouvernementale sont toujours en place : Bernard Cazeneuve à l'Intérieur, Jean-Yves Le Drian à la Défense (bien que son cumul avec la présidence de la Région Bretagne soit une aberration), Marisol Touraine aux Affaires sociales et à la Santé, Stéphane Le Foll à l'Agriculture (qui, visiblement exténué à ce poste, était sûrement désireux de changer de portefeuille), Michel Sapin aux Finances, Ségolène Royal à l'Environnement et surtout, Emmanuel Macron à l'Économie. Ce bouillant et parfois insolent ministre a été un peu rétrogradé dans l'ordre protocolaire, mais il ne s'agit que d'un petit coup de règle sur les doigts. La politique économique ne changera donc pas. L'aile gauche du Parti socialiste ne peut rien espérer de nouveau dans la stratégie social-libérale du précédent gouvernement.
Certes, Jean-Marc Ayrault est au Quai d'Orsay. Le départ de Laurent Fabius pour la présidence du Conseil constitutionnel obligeait à une nouvelle nomination à ce poste régalien. Mais il n'y a aucune révolution à en attendre. C'est un proche, un fidèle, de François Hollande qui, de toute façon, n'a besoin que d'un copilote pour les Affaires étrangères.
Arc-en-ciel ?
Il faut, par conséquent, observer ce remaniement avec une autre lorgnette.
François Hollande, voyant sa base proprement socialiste diminuer comme peau de chagrin, ainsi que, bien au-delà de la grogne des "frondeurs", l'ont montré les refus de nombreux députés PS d'inscrire l'état d'urgence et surtout la déchéance de nationalité dans la Constitution, cherche à se reconstituer une assise électorale pour la présidentielle de 2017.
C'est "un gouvernement arc-en-ciel", a déclaré Jean-Christophe Cambadélis. C'est plutôt - n'en déplaise au premier secrétaire du Parti socialiste - un triste rapiéçage auquel s'est livré le président de la République. D'où l'entrée de Jean-Michel Baylet comme ministre de l'Aménagement du territoire et la promotion d'Annick Girardin comme ministre de la Fonction publique, dans l'espoir de récupérer les voix du Parti radical de gauche. D'où, surtout, l'arrivée de trois écologistes qui, hélas pour lui, sont vert tendre, alors que seul Nicolas Hulot aurait pu teindre de vert foncé le nouvel appareil gouvernemental. Si, pour Barbara Pompili et Jean-Vincent Placé (enfin placé !), le débauchage est plus médiatique que politique, en revanche, la nomination d'Emmanuelle Cosse, patronne d'Europe Écologie-les Verts, au Logement (poste qu'avait occupé Cécile Duflot !) est risquée pour François Hollande. Il peut se dire qu'ainsi il va faire exploser un parti où traîne déjà une odeur de poudre et empêcher une candidature EE-LV en 2017. Mais l'effet obtenu pourrait être inverse, avec des Verts rouges de colère !
Non, François Hollande n'a rien laissé au hasard. Beaucoup se sont étonnés de voir surgir un secrétariat d'État de l'Égalité… réelle. Sait-on qu' Ericka Bareigts, députée de la Réunion, va ainsi défendre la cause des Outre-mer qui souffrent, plus encore qu'en métropole, du chômage et de la crise économique. Il y a là des signes à donner et des voix à récupérer !
On n'a donc pas de souffle nouveau, simplement le coup d'envoi d'une stratégie électorale à haut risque. Il ne reste plus que 7, 8 mois utiles pour l'action gouvernementale. Au lieu d'engager un sprint final, notamment sur l'emploi, François Hollande regarde les crampons de ses supposés coéquipiers et de ses irréductibles adversaires. Le meilleur moyen d'être battu à l'arrivée.
Patrick Béguier est journaliste, éditorialiste et écrivain.