Alain Juppé, premier lieutenant de Nicolas Sarkozy.
Publié le Par Jennifer Declémy
Considéré comme politiquement mort en 2007, après sa défaite aux législatives, Alain Juppé est aujourd'hui l'une des pièces centrales du dispositif de campagne de Nicolas Sarkozy. Portrait d'un homme politique et d'une relation étrange entre le président et son ministre des affaires étrangères, ancien opposant.
En politique rien ne dure jamais c’est bien connu. Alors que durant les trois premières années du mandat de Nicolas Sarkozy, l’ancien Premier Ministre de Jacques Chirac flinguait à tout va la politique du Président de la République, aujourd’hui, il est devenu l’homme fort de ce même président, son lieutenant sur qui Nicolas Sarkozy s’appuie pour espérer remporter la victoire en 2012.
Comment a-t-on pu en arriver là ? La haine entre les deux hommes était pourtant connue dans le milieu politique. Elle remontait à 1995, quand Juppé avait choisi le camp Chirac et Sarkozy le camp Balladur. Elle s’était encore accentuée quand Alain Juppé avait été condamné en 2004 et qu’il avait alors blâmé l’ancien ministre de l’intérieur. Elle avait perduré, envers et contre tout, tant les styles de ces deux hommes sont presque incompatibles. Le ministre des affaires étrangères est technocrate, d’une rigueur intellectuelle remarquable, il est droit dans ses chaussures, il se maitrise en toute occasion et ne tombe pas dans les excès. Le président lui est bouillonnant, émotif, passionné en toute chose et il fonce. Deux personnalités qui ne pouvaient donc que se confronter au sein du même parti politique.
Mais c’est surtout une relation complexe et passionnée depuis des années, traversée de conflits et de haines, qui existe aujourd’hui entre les deux hommes qui, après s’être tant combattus, affichent aujourd’hui une parfaite entente. De l’ancien ministre de l’intérieur pourtant Juppé disait « Nicolas c’est un filou ! » et l’accusait régulièrement de mentir, sur beaucoup de sujets. Sarkozy lui se réjouissait de l’avoir mis à terre. Et quand au début du mandat le maire de Bordeaux critiquait la suppression de la taxe professionnelle, le retour dans l’OTAN ou le débat sur l’identité nationale ! Allant jusqu’à déclarer que si jamais le président actuel ne se représenterait pas en 2012, lui serait bien décidé à tenter sa chance…
Tout aurait changé en 2010 quand, après la débâcle Alliot-Marie en Tunisie, le maire de Bordeaux fut appelé en renfort au quai d’Orsay. Depuis, Alain Juppé a su s’approprier le domaine de politique étrangère qui était jusque-là réservé à Nicolas Sarkozy, et il a su en diverses occasions manifester son opposition au Président. Quelque chose que quasiment personne, et surtout pas au Gouvernement n’ose faire.
Aujourd’hui ils donc affichent confiance et sérénité, même si Alain Juppé ne se laisse pas enfermer dans un rôle de sous-fifre ou de sniper par le président sortant. Non, le ministre du quai d’Orsay se place presque en position égale, défendant du bout des lèvres le bilan.
Meilleur ennemi devenu meilleur ami, mais pas sans ambiguïtés donc. Souvenons-nous de l’automne dernier, quand le chef de l’état était entouré d’un halo de future défaite et que certains à l’UMP osaient réclamer (en privé) une candidature d’Alain Juppé à la place de l’actuel président. Une hypothèse qui n’aurait pas déplu à l’intéressé mais qu’il n’a pas eu le courage d’appliquer. Une hypothèse qu’il revendiquait en 2010 mais qui aujourd’hui est devenue un simple regret.
Ne pas diviser l’UMP mais plutôt soutenir la victoire de Sarkozy pour espérer obtenir un rôle politique encore plus important en mai 2012, c’est peut-être là le pari d’Alain Juppé. Et c’est aussi sur ce quoi parie l’actuel chef de l’état, lucide sur ses faiblesses et qui veut donc s’appuyer sur des poids lourds de l’UMP, plus populaires que lui à l’heure actuelle. C’est pour cela que c’est le ministre des affaires étrangères qui fut envoyé au front la semaine dernière, pour débattre contre François Hollande. Tous les espoirs reposaient alors sur le « meilleur d’entre nous » pour remporter une victoire symbolique qui écorcherait l’étoile scintillante du socialiste. Las, Alain Juppé aura déçu tout le monde, incapable de défendre un bilan auquel il ne croit pas forcément, conjuguant au futur la victoire du député de Corrèze et montrant ainsi, cruellement, l’intériorisation d’une défaite par beaucoup de membres de la majorité présidentielle.
Si d’aventure Nicolas Sarkozy est élu en mai prochain, Alain Juppé est assuré à 99% de devenir son Premier Ministre. Une perspective alléchante pour ce politicien aguerri, et qui l’oblige donc à mener campagne pour son ancien ennemi. Mais, sans doute conscient que cette hypothèse a de très maigres chances de se réaliser, il hésite et tente de se positionner. Pour lui comme pour beaucoup de monde à l’UMP, son avenir politique ne pourra se définir qu’au soir du 06 mai 2012.