Peut-on faire confiance aux agences de notation?
Publié le Par Jennifer Declémy
Les agences de notation peuvent-elles continuer à noter impunément les pays sans que personne ne vienne remettre en compte ce jugement ? La question se pose plus que jamais aujourd'hui, au vu de leur histoire.
La dégradation de la note souveraine de la France par Standard & Poor’s a relancé le débat sur la pertinence des agences de notation, érigé en pythies suprêmes des marchés financiers pour certains, vilipendées par d’autres pour leurs nombreuses erreurs au cours des années et leurs jugements contradictoires, voire subjectifs.
Même si les français n’ont découvert l’existence de ces établissements économico-financiers que fort récemment, les agences de notation existent pourtant depuis plus d’un siècle et demi et ont une origine française. En effet, l’origine de cette institution remonte à 1833, quand le français Eugène-François Vidocq créa un bureau de renseignements pour le commerce qui avait pour mission de recueillir toutes les informations possibles sur les emprunteurs.
C’est de cette idée que l’agence américaine Dun est apparue, chargée de fournir des rapports sur les chefs d’entreprise. Par la suite, un rapport rédigé en 1861 sur la solvabilité de la compagnie des chemins de fer donne naissance à un embryon de l’agence Standard & Poor’s qui naitra officiellement en 1916.
En 1909 c’est l’agence Moody’s qui est instituée et qui se donne pour mission de juger des risques, en s’appuyant sur une grille de notation. Apparaissent en filigrane les notes des états, qui verront le jour en 1918. En 1924 c’est l’agence Fitch qui apparait.
L’importance que l’on accorde aujourd’hui aux agences de notation date de 1931, quand les Etats-Unis décidèrent d’obliger les banques à s’appuyer sur les notes décernées par les agences de notation pour faire leurs bilans. Mais après la seconde guerre mondiale, les agences arrêteront, pendant un temps, de noter les états, jusqu’en 1975 où un changement apparait alors : désormais ce sont les états qui paient pour être notés.
Si depuis 2008 les agences de notation sont sous le feu des critiques, pour n’avoir pas remarqué à temps la faillite d’Enron en 2001 ou pour n’avoir pas non plus repéré la crise des subprimes, c’est aussi pour l’impact que ces notes ont sur les pays, qui est désormais en cause.
Mais ce n’est pas la première fois que ces institutions financières sont accusées d’avoir précipité un pays dans la crise. Ainsi, quand Moody’s dégrada la Grèce en 1931, ce qui eut pour conséquence directe de faire grimper ses taux d’intérêts et la spirale s’enclencha : les exportations de produits agricoles chutèrent et les prix en Grèce flambèrent. Un an plus tard les remboursements furent stoppés et face à une opposition virulente, le pouvoir en place limita la liberté de la presse tandis que le pays sombrait peu à peu dans une crise non seulement économique, mais aussi politique. Un coup d’état eut lieu et ramena les monarchistes au pouvoir, qui mirent en place une dictature de type fasciste.
Cet exemple seul tend à se demander si accorder tant d’importance au jugement d’une agence de notation est la voie à suivre pour redresser une économie. Certes cela impacte directement sur les taux d’intérêt entre autres, mais cela induit aussi et surtout des politiques d’austérité qui enclenchent alors une spirale infernale.
Face à ce dilemme éthique, les candidats à la présidentielle française hésitent entre plusieurs postures variées même s’ils partagent tous un même constat : ce n’est pas aux agences de notation de décider de la politique économique française. Bien. Mais au-delà de cette posture, des idées neuves et innovantes sont difficiles à trouver dans le débat présidentiel.
Le PS et le Modem voudraient créer une agence publique de notation européenne, Europe Ecologie voudrait pareil, mais en différent. L’UMP veut recadrer le travail desdites agences. Quant au FN et au Parti de Gauche, eux veulent simplement passer outre ces agences. Et même l’Union Européenne, par la voix de Mario Draghi, a appelé à « apprendre à se passer » des funestes agences.
Le débat est donc ouvert en France, sur la pertinence de ces agences de notation qui apparait de plus en plus relative. Ce sera sans doute une des questions qui opposera les différents candidats même si, pour le moment, rien de concret n’est mis sur la table. En outre, une réforme d’ampleur devra sans doute passer par un consensus européen sur ce sujet.