Justice : la réforme pénale votée au Sénat
Publié le Par Raphaël Didio
Flickr - Parti Socialiste
Le parlement a adopté ce jeudi la réforme pénale de la ministre de la Justice, Christiane Taubira. Ce texte prévoit un point controversé par l’opposition, celui de la création d’une nouvelle peine sans emprisonnement dite « contrainte pénale »
La réforme pénale de Christiane Taubira voit enfin le jour. Le parlement l’a définitivement adoptée ce jeudi. Mais cela n’empêchera pas l’opposition de se montrer encore et toujours en défaveur de ce texte qui prévoit notamment la création d’une nouvelle peine sans emprisonnement appelée « contrainte pénale ». Mais après l’Assemblée nationale hier, les groupes de gauche du Sénat ont soutenu aujourd’hui cette loi sur « l'individualisation des peines et le renforcement de l'efficacité des sanctions pénales ». Tous les sénateurs UMP, à l’exception de Jean-René Lecerf (Sénateur du Nord), et les centristes ont voté contre.
Christiane Taubira avait reconnu mercredi que le texte avait connu « une longue et profonde maturation », « un chemin semé d’embûches », qui permettra de « rétablir la pénalité moderne au sens du projet républicain ». En effet, à l’Assemblée, les députés ont rejeté plusieurs amendements de dernière minute du gouvernement. Il cherchent à supprimer, au nom d’un risque de censure du Conseil constitutionnel, des dispositions issues du compromis entre députés et sénateurs : la possibilité du recours, même limité, à la géolocalisation et aux écoutes téléphoniques pour vérifier que les condamnés respectent certaines interdictions, mais aussi la nouvelle transaction pénale. Le rapporteur du texte, Dominique Raimbourg (PS), a jugé le risque « faible ».
Combattre les sorties « sèches » de prison
Le texte prévoit donc la contrainte pénale, qui consiste à respecter en milieu ouvert des obligations et interdictions moyennant un contrôle pour prévenir la récidive en favorisant la réinsertion. Cette peine sera susceptible d’être prononcée pour l’ensemble des délits à compter du 1er janvier 2017 et dès le 1er janvier 2015 pour ceux passibles d’une peine de cinq ans de prison maximum. Cette loi concrétise par la même occasion l’engagement de campagne de François Hollande qui souhaitait supprimer les peines plancher pour les récidivistes créées sous Nicolas Sarkozy. Elles ont été jugées non pertinentes et responsables d’un allongement de la durée des peines et d’une surpopulation pénale accrue. Entre 2007 et 2014, le nombre de détenus est passé de 58 000 à 68 000.
La situation des détenus devra être évaluée aux deux tiers de la peine afin de combattre les sorties « sèches » de prison, c’est-à-dire sans mesures d’accompagnement, soit 80 % des sorties actuellement et surtout 98 % pour les peines de moins de six mois. Les victimes peuvent saisir la justice de ce qu’elles jugent être une atteinte à leurs droits en cours d’exécution de peine et exiger à être informées de la fin d’une peine de prison. Toutefois, la suppression des tribunaux correctionnels pour les mineurs, que les sénateurs avaient introduite, n’a finalement pas été retenue dans la version votée. Des gages sur la présentation d’un texte consacré à la justice des mineurs au premier semestre 2015 ont été donnés par la Chancellerie, et Front de Gauche comme écologies ont fait part de leur espérance à l’Assemblée que cet engagement sera tenu.
Désaccords au sein de la majorité
Quant à l’opposition, l’UMP en tête, elle n’a cessé de pointer une réforme « idéologique et dangereuse » envoyant « un signal de laxisme aux délinquants ». Le député Eric Ciotti a annoncé qu’il saisira le Conseil constitutionnel avant même le vote au Sénat. Même son de cloche chez les centristes de l'UDI qui ont aussi critiqué une approche uniquement « sous l'angle de la surpopulation carcérale ». Mais la gauche a fait front pour défendre une « une réponse pénale de meilleure qualité » (PS), « une rupture salutaire avec les dizaines de lois pénales de l'ancienne majorité » (EELV), la fin de « la philosophie du tout carcéral » (radicaux de gauche) et encore un « sens » redonné à la peine (Front de gauche).
Des désaccords internes sur la réforme ont surgi au sein de la majorité. Cela remonte à « une conférence de consensus » avec professionnels et experts au début de l’année 2013. La Garde des Sceaux avait dû accepter les arbitrages rendus l’été dernier par le président en faveur de Manuel Valls, ministre de l’Intérieur à l’époque, qui jugeait le projet initial beaucoup trop laxiste. En qualité de Premier ministre, il s’est impliqué en marge de la première lecture du texte à l’Assemblée début juin afin que la contrainte pénale ne soit pas applicable à l’ensemble des délits, ce que souhaitent certains socialistes. Le Sénat a ensuite fait de la contrainte pénale la peine principale pour une série de délits pour lesquels de courtes peines de prison sont encourues aujourd’hui. Cela a suscité de vives réactions chez certains syndicats de magistrats et de la police.