Zone base vie, de Gwenaëlle Aubry
Publié le Par Pascal Hébert
Francesca Mantonvani
Le Covid, une histoire ancienne ? Espérons. Cet épisode, collectivement vécu en 2020 et sur plusieurs mois, nous a-t-il finalement changés ? Oui, sans aucun doute mais il a malgré tout affecté notre vie en société. Après l’euphorie de courte durée de la fin du confinement, la vie d’avant est repartie de plus belle avec un paramètre en plus : une agressivité visible.
La tolérance, obligatoire pour vivre en société, a laissé place à une méfiance de l’autre voire une indifférence. Dans la rue et au volant, les comportements ont changé. La violence l’emporte un peu partout et pas que dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale... Bref, en résumé, on ne s’aime pas beaucoup.
Gwenaëlle Aubry, dans son dernier roman, "Zone base vie", nous ramène au point zéro. Au moment où tout a commencé, le 16 mars 2020, à l’heure H où le président de la République nous annonce que « nous sommes en guerre ».
La romancière s’est intéressée aux habitants d’un immeuble apprenant que le confinement a commencé. Et tout doucement, nous faisons irruption dans les appartements pour découvrir comment chacun vit ce moment historique, cet instant où la vie de toute une nation bascule. La guerre n’est pas à notre porte avec le bruit des bottes mais elle est plus sournoise, invisible, rendant les gens inquiets de tout et de tous. Chacun tente de se rassurer comme il peut face à ce virus que l’on ne connaît pas.
Dans ce panel d’habitants du 11 bis, rue Winckler, par ordre d’entrée en scène, on découvre la petite Livia Antunes, qui vit au rez-de-chaussée. Sa maman, d’origine portugaise, est la gardienne de l’immeuble. Avec Livia, c’est toute la difficulté d’être une enfant en période de confinement que l’on suit tout au long de ces mois. Entre les cours à la maison, l’angoisse de ce changement brutal de vie et la peur de contaminer ou d’être contaminé, Livia entre de plain pied dans la vie des adultes. Livia doit également gérer la séparation de ses parents. Son père François vit d’ailleurs dans le même immeuble sous les toits dans une chambre de bonne.
Au premier étage à gauche, nous faisons la connaissance d’Emmanuel Melin qui revient de Chine. Traumatisé par ces échecs professionnels et ses difficultés à rebondir, Emmanuel se heurte à la réussite de son frère dans la préfectorale. Tentant de lancer un projet commercial en surfant sur le confinement, il se referme tout doucement sur lui-même et rejoint la longue liste des complotistes en tout genre.
Au deuxième étage, on découvre Claire Kouassi, baignée dans le milieu culturel. En ce tout début de confinement, elle s’inquiète de savoir si elle est contaminée ou a pu contaminer. Le confinement débute au moment où elle apprend qu’elle est enceinte. Tout au long de cette période d’enfermement, la vie avec son compagnon, Hugo, devient compliquée, chacun se repliant sur ses centres d’intérêt.
Jean-François et Delphine Lapeyrière, propriétaires de trois chambres de bonne, prévoient de les réhabiliter pour leurs enfants. Mais le confinement, véritable révélateur de ce qui marche moins bien entre deux êtres, met le couple en péril.
Un peu plus loin, il y a Manon Mernissi, brillante avocate, plutôt la duchesse de l’immeuble. Libre à tous les niveaux, ne s’encombrant pas des hommes, elle les jette après utilisation. Mais le confinement la verra changer d’optique et elle en pincera pour un de ses clients, le bel Italien Fulvio Manzoni. Quant à Kirsten Pedersen, vivant dans la chambre de bonne, c’est l’étudiante type. Malade sans aucun doute du Covid, elle vit mal sa solitude. Et puis il y a M. Georges Szulewicz. A peine a-t-il retrouvé une amourette du temps passé que le covid les sépare définitivement.
Dans ce roman, Gwenaëlle Aubry nous replonge avec intelligence dans une période qui semble lointaine. L’action se déroule dans un immeuble. La caméra de la romancière zoome avant jusqu’au cœur des habitants, fragilisés par le confinement et une vie loin de tous.
Pascal Hébert
"Zone base vie", de Gwenaëlle Aubry. Éditions Gallimard. 268 pages. 21 €.