Deux ou trois choses pour énerver les marchands d’art
Publié le Par Un Contributeur
Le marché de l'art réserve bien des surprises. Notre spécialiste des questions économiques a décidé de s'en amuser un peu. Par Antoine Laray
1.- La presse allemande a découvert que depuis deux ans, 1407 tableaux étaient classées « top-secret » par les douanes allemandes qui les gardaient dans un entrepôt de la banlieue de Munich. Ces œuvres ont été découvertes chez un certain Cornélius Gurlitt soupçonné à tort d’ailleurs de blanchiment d’argent. Derrière une quantité de détritus et des piles de conserves alimentaires pour certaines périmées depuis plus de trente ans, ils ont trouvé des œuvres pour la plupart de la première moitié du XXe siècle. Des Picasso, Matisse, Chagall, Paul Klee, Max Beckmann, Oskar Kokoschka etc. Des tableaux disparus depuis plus de soixante-dix ans.
Cornelius Gurlitt aurait pu poursuivre sa vie recluse aussi longtemps que son âge avancé le lui aurait permis. Ce fantôme inconnu des caisses de retraite et des services fiscaux, s’est fait attraper avec 9.000 euros en poche entre la Suisse et l’Allemagne. Le pire c’est que c’est tout à fait légal. Les douaniers ont vécu la découverte de leurs vies tout simplement parce que la tête de l’individu ne leurs revenait pas. Son père, Hildebrand Gurlitt, fin connaisseur d’art contemporain, directeur du musée d’art moderne de Zwickau, en Saxe (Allemagne orientale) jusqu’en 1930 et décédé en 1956 est fortement soupçonné d’avoir mis de côté une partie des œuvres d’art volées aux Juifs pendant la seconde guerre mondiale. Un trésor dont les Nazis lui aurait donné mission de les écouler et ainsi de ramener de l’argent frais au Reich finissant. Cette découverte serait encore secrète si la presse n’avait pas eu vent de l’information. Il n’y a pas prescription pour les victimes de la Shoah et leurs descendants et donc, quelques tableaux devraient pouvoir retourner aux familles de leurs anciens propriétaires. Que va-t-il devenir du reste, dont la valeur au pinceau mouillé, pourrait s’élever à plus d’un milliard d’euros (on ne compte pas les boîtes périmées quoique cela pourrait intéresser quelques artistes conceptuels). L’Etat allemand devrait pouvoir récupérer à son compte le reste des œuvres. Cela ferait un musée, et ce serait très bien. Mais, avec un « propriétaire » qui n’existe pas légalement et dont le père, un temps persécuté, fut considéré par les Américains comme victime du nazisme (Hildebrand Gurlitt n’a jamais été inquiété), on devine l’imbroglio juridique qui se profile.
A titre de comparaison, le marché mondial de l’art contemporain, de juin 2012 à juin 2013, a dépassé le milliard d'euros de chiffre d'affaires. Les États-Unis sont redevenus le numéro un, devançant de peu la Chine, avec 350 millions de chiffre d'affaires. Le Royaume-Uni est le troisième sur le podium. La France arrive en quatrième position, loin derrière, avec près de 30 millions d’euros. On imagine le tsunami financier si ne serait-ce que la moitié des œuvres devait être mis en vente !
2.- Une tendance de l’art moderne le « street art », les peintures et autres bombages qui fleurissent sur nos façades, commencent à être cotés sur le marché de l’art au grand dam des propriétaires d’immeubles. Ainsi à Drouot, la meilleure vente de Banksy sur le sol français, sa toile Sid Vicious s’est vendue à près de 128.100 euros. Fidèle à ses origines provocatrices, le 13 octobre, Banksy, a vendu sur un coin de trottoir, le long de Central Park à New York, des toiles signées reproduisant ses pochoirs les plus célèbres pour 60 dollars l'une... La vente ne s'est élevée, qu'à 420 dollars. Voilà ce qui se nomme casser le marché.
On ne le sait pas assez, l’artiste ayant vendu une première fois une œuvre, peut prétendre toucher un droit de suite, c’est ainsi que l’on appelle les droits d’auteur, si son œuvre est à nouveau vendue, avec un seuil minimum de 3000 euros (la part de l’artiste est alors de 4%) en revanche s’il n’y a pas de maximum pour le prix de l’œuvre, il y en a un sur ce que doit toucher l’artiste (ou ses ayant-droits jusqu’à 70 ans après sa mort) soit 12.500 euros. Sans doute histoire de signifier au créateur de céder la place à d’autres créateurs, des créateurs de richesse. L’artiste pourrait-il prétendre à une part plus élevée en cas de bonne fortune d’une de ses œuvres ? On répondra que trop d’argent tue l’argent et le bonheur de l’artiste n’est-il pas dans le regard de son public ? Voire.
3.- L’incendie qui a détruit l’immeuble du Crédit Lyonnais en mai 1996 s’est révélé riche d’enseignement. Libération rapportait ainsi à l’époque que dès la première armoire blindée ouverte: une centaine de Chagall, Modigliani, Matisse, Picasso, ont émergé à la lueur d'une lampe torche. «Mais pourquoi ne les exposez-vous pas chez vous?», chuchote un témoin, incrédule. La réponse fuse, exaspérée: «Ecoutez, j'en ai déjà 2.000 à Zurich ! Où voulez-vous que je les mette ?»