Guy Bedos à Alger, « antiraciste obsessionnel »
Publié le Par Fabrice Bluszez
R. R.
Il est l’un des rois transgénérationnels du one man show, poil à gratter du petit monde de la politique et pourfendeur des conventions. Interview par Redha Menassel.
Guy Bedos est retourné à la mi-mars dans son pays de naissance, l’Algérie, pour assister à la projection du documentaire "Guy Bedos en toute liberté" réalisé par Mireille Dumas.
Guy Bedos, bonjour et bienvenue chez vous, en Algérie ! Question directe et sans fioritures, si demain Marine Le Pen remporte les élections présidentielles en France, est-ce que vous comptez demander l’asile politique en Algérie ?
(Rires) Ce n’est pas exclu, pas exclu du tout ! J’avais dit il y a quelques semaines que si Marine Le Pen passait, je m’exilerais au Québec, mais si on me reçoit avec toute ma smala à Alger, pourquoi pas. Le mercure y est plus clément en tout cas !
Dans un de mes livres (NDLR : Mémoires d’outre-mère), j’avais gribouillé que la Corse était mon Algérie de rechange, mais si l’extrême droite arrive au pouvoir, l’Algérie sera une de mes Frances de rechange, c’est clair.
Vous savez que je suis encore en procès avec Marine Le Pen parce que je l’avais comparée à Adolf Hitler. J’ai été relaxé pour celui de Nadine Morano, le tribunal avait estimé que je n’avais pas « dépassé mes outrances habituelles », ça m’avait bien fait rigoler.
Toutes ces femmes de droite et d’extrême-droite qui me tombent dessus, c’est une véritable partouze judiciaire (Rires)
Vous m’aviez confié tantôt avoir écrit votre dernier livre « Je me souviendrai de tout » pour je cite « ne pas mourir d’ennui », est-ce que les planches -que vous avez quitté en 2013- vous manquent ?
Oui, terriblement !….. J’avais justement pensé à monter un spectacle autour de mon dernier bouquin mais j’ai changé d’avis, il me parle plus à l’écrit qu’à l’oral.
Mais j’ai plusieurs projets de films dans ma besace avec mon ami Mohamed Fellag notamment.
J’espère aussi mettre en image l’histoire d’un pied-noir, adhérent au Front national, qui s’installe à Nice. Fauché, il loue des chambres pour gagner un peu de sous et parmi ses locataires, il y’a une femme noire dont il tombe éperdument amoureux. Ça le pousse à retourner complètement sa veste et à défendre les sans-papiers et les migrants. J’espère pourvoir le diffuser à la télévision française avant les élections de 2017… En espérant que ça serve à quelque chose.
Vous me tendez une perche pour avoir votre avis sur ce qui se passe à Calais….
C’est horrible, inhumain, je n’ai pas de mots assez forts pour décrire ce que je ressens. J’y suis allé il y a un ou deux ans, j’y ai fait un discours qui n’était pas du tout un sketch contre un mur que les associations avec lesquelles je milite appellent « le mur de la honte ». C’est dégueulasse ce qui se passe là-bas.
Cela fait partie de ce qui me désespère dans ce gouvernement soi-disant de gauche qui mène une politique de droite ! J’ai d’ailleurs dit récemment que je casserais bien la gueule à Manuel Valls !! Ca a été repris partout, sur les chaines d’infos continues, sur internet etc.
Bon ben voila, Manuel, c’est quand tu veux, je t’attends (rires).
Vous avez déclaré dans une interview que vous vous sentiez plus proche d’un Camus que d’un Macias, c'est-à-dire ?
Je persiste et je signe, même si je ne veux pas de mal à Enrico Macias ! Dans mon livre Mémoires d’outre-mère, je consacre d’ailleurs un chapitre aux célèbres 12 articles d’Albert Camus sur la misère en Kabylie et qui m’avaient fortement remué quand j’étais gosse. « Par un petit matin, j’ai vu à Tizi-Ouzou des enfants en loques disputer à des chiens le contenu d’une poubelle », c’est le genre de phrases qui vous marque au fer rouge.
Je me trimballe une honte d’ailleurs, c’est que je ne connais pas du tout la Kabylie ! Et même si j’ai passé une partie de mon enfance ici, je n’ai jamais eu l’occasion d’y aller.
Mais je reviendrai exprès pour, ne serait-ce qu’en repérage…
Pour le film que vous préparez avec Fellag ?
Oui, enfin si on y arrive (long silence)... Vous savez, ça devient de plus en plus compliqué le cinéma en France. On est par exemple tombé sur un producteur très mauvais et malgré ma petite notoriété, on a plus de chance de faire un film avec Christian Clavier qu’avec moi !
On fait bien passer des castings aux acteurs, je pense qu’on devrait aussi en faire passer aux producteurs !
Mais je n’abandonnerai pas, j’aime Alger et je veux y faire ce film contre l’extrême-droite ! Pour vous dire à quel point cette ville m’est chère, j’avais eu le plaisir d’y jouer mon spectacle en avant dernière, puisque la dernière, la der des ders c’était à l’Olympia, entouré de mes amis, de ma famille, de mes enfants…..
Justement, je ne peux pas ne pas vous poser la question, êtes-vous fier de ce que fait Nicolas ?
Bien sûr, même si je ne suis pas toujours d’accord avec lui….
Il est meilleur que vous ?
Non, faut pas déconner non plus, c’est difficile (Rires) ! Il est inspiré par moi, oui, mais il est différent. C’est vrai qu’il me doit d’avoir eu cette vocation, il a trainé beaucoup dans ma bibliothèque, a côtoyé mes amis, tous des forts en gueule, des poètes et des artistes qui l’ont d’une certaine manière contaminé par l’humour.
Mais il est fou, il fait des trucs de fou !
Là par exemple, il est sur un film (ndlr : M. & Mme Adelman) qu’il a écrit, mis en scène et dans lequel il joue le rôle principal….. ça j’aurais jamais osé !
A 28 ans, j’avais scénarisé et joué dans un film à sketchs, un peu à l’italienne qui s’appelle Dragées au poivre de Jacques Baratier et qui a eu un certain succès a Venise, à Londres à New York. Mais jamais je n’aurais pensé à faire de la mise en scène en plus, Imaginez, dire « moteur », puis courir comme un dératé se mettre face à la caméra et commencer à jouer, c’est de la folie….mais bon, j’ai l’impression que ça se présente bien son film et j’en suis très heureux.
On va parler d’un sujet un peu moins joyeux, la mort ! Vous avez déclaré récemment que vous aviez aidé Pierre Desproges à « partir » et que vous aviez déjà choisi votre « médecin assassin »….
Je ne peux que confirmer ce que j’ai dit ! C’est vrai que j’ai aidé mon ami Pierre à s’en aller, d’ailleurs, j’appartiens à une association qui s’appelle « le droit de mourir dans la dignité ».
Je suis intimement convaincu qu’il vaut mieux partir en douceur, dans son sommeil, endormi par un médecin en qui vous avez confiance que d’être un fardeau pour vous et vos proches. Tout ce que j’ai dit est vrai, je suis de ceux qui n’obéissent pas, pas même à la mort. C’est pour ça que je n’ai pas fait l’armée, que je n’ai pas fait la guerre et que je ne voulais pas tirer sur mes copains.
Quand j’avais lu sur un fascicule au fort de Vincennes cette formule ridicule « La discipline est la force principale des armées », je me suis dit que je devais me barrer fissa sinon j’allais faire un malheur. J’avais trop d’amis ici pour faire cette guerre.
En grand amoureux de Camus, vous avez sûrement suivi la « polémique » Kamel Daoud…
« Aujourd’hui, maman est morte », Oui, j’ai suivi l’affaire ! J’ai lu Meursault contre enquête et Kamel est un écrivain que j’apprécie beaucoup. Comment le dire de manière nette ? Je suis choqué qu’un écrivain algérien qui a eu le Goncourt du meilleur premier roman soit victime d’une espèce de chasse à l’homme. Il semblerait qu’on le fasse passer pour un islamophobe, ce qui est ridicule.
Ce n’est pas possible d’être islamophobe quand on s‘appelle "Daoud" (David en arabe, ndlr). Je pense que son succès rend tout simplement certains jaloux.
Lors de votre dernière visite à Alger, après vous être allongé sur la tombe de votre père (Au grand désespoir de votre épouse) , vous êtes descendu à Bab El Oued à la recherche d’un square ou vous vous êtes blessé la tête à 13 ans. Vous aviez même émis le souhait qu’il soit rebaptisé "square Guy-Bedos" après votre décès…
(Rires) Coupable ! J’y suis allé souvent dans ce square pour voir mon grand-père, ça s’appelait la "rue Livingston" à l’époque.
Mon grand-père était surveillant général au lycée Bugeaud, le plus ancien d’Alger et qui s’appelle maintenant -ça va dans le sens de l’histoire- le lycée Emir Abdelkader. J’aimais beaucoup mon grand père, c’est la personne que j’ai préféré dans toute ma famille. Il était sage, ouvert, drôle, cultivé et surtout….pas du tout raciste !!!!! Et Dieu sait qu’il y a eu beaucoup de racistes dans ma famille, ma maman en tête.
Je reviens donc de loin, au propre et au figuré. Je me suis construit contre tout ce que j’ai subi, ce que j’ai vu et entendu. Ça a démultiplié mon antiracisme obsessionnel.
insoumis
29/06/2016 19:48
Bravo, Monsieur BEDOS