Prix des correspondants de guerre : l’hommage de Bayeux à Charlie
Publié le Par Jacques-Henri Digeon
Pascal Hébert
Expos, films, débats, la ville de Bayeux a accueilli la semaine dernière le Prix des correspondants de guerre. Une 22e édition marquée par l’hommage aux huit victimes de Charlie Hebdo.
Bayeux, première ville de France libérée en 1944, est entré dans l’Histoire avec les discours du général de Gaulle en 1944 et 1946. Aujourd’hui, la capitale du Bessin est devenue le phare de la Liberté en rendant, depuis plus de vingt ans, un hommage appuyé à tous les correspondants de guerre, morts sur le théâtre des opérations dans tous les conflits du monde. Leur motivation : informer. Informer pour mieux comprendre la réalité de ces conflits et bien évidemment les conséquences sur les combattants et les populations prises dans le carnage, comme actuellement en Syrie. Pendant une semaine, la cité épiscopale devient la capitale du monde de l’information et de la Liberté. La Liberté des hommes et de la presse. Il faut que la presse soit libre pour aller vérifier sur le terrain les faits. Rien que les faits et contredire au passage la communication des belligérants.
Riss au Mémorial des reporters
La semaine dernière, Bayeux a vécu à l’heure du reportage de guerre. Expositions, projections de films, débats et remise des prix ont animé la cité. Les grands reporters de la presse écrite, parlée, télé (Charles Enderlin, Philippe Rochot) ou photo se sont donné rendez-vous à Bayeux. Une occasion unique pour le publique de dialoguer avec ces témoins de notre temps et de comprendre avec eux la marche du monde. Un monde qui s’est arrêté en France, à Paris, le 7 janvier dernier. La guerre a fait irruption dans la rédaction de Charlie Hebdo, tuant des dessinateurs. Tous les ans, au mémorial de Bayeux, une stèle avec les noms des victimes morts dans l’année est inaugurée. Pour l’édition 2015, l’émotion était à son paroxysme puisque dans la pierre sont gravés, entre autres, les huit noms de l’équipe de Charlie Hebdo, dont Cabu, Wolinsky et Charb pour ne citer que ces artistes du crayon et de l’humour. Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontière, a rappelé qu’en France : « aujourd’hui, pour un bon mot, pour un trait d’humour, un dessin, on peut perdre la vie. » Directeur de Charlie Hebdo, Riss (devant la stèle, 2e à gauche sur la photo), blessé lors de l’attaque de la rédaction, le visage fermé, a tenu à expliquer : « Chez nous à Charlie Hebdo, il n’y a jamais eu de reporters de guerre. Le 7 janvier, nous étions en conférence de presse en train de parler des jeunes qui partent en Syrie. Ils étaient là juste derrière notre porte ! En trois minutes, la guerre est venue à nous. »
Hommage à la démocratie et à la Liberté
Rappelons que 66 journalistes sont morts en 2014 et 47 depuis le début de 2015. Avec ce mémorial qui se visite librement, Bayeux prolonge un travail de mémoire entamé après la Libération de la France. Il y a 22 ans, lorsqu’il a imaginé cet hommage aux reporters de guerre, à la démocratie et à la Liberté, Jean-Léonce Dupont, sénateur, conseiller départemental du Calvados et surtout enfant de Bayeux, n’imaginait pas le retentissement mondial de cet événement : « Bayeux est légitime pour mettre en place ce symbole de la démocratie et de la liberté à travers le travail des reporters de guerre. C'est toute la ville qui est mobilisée. Toutes les écoles sont concernées avec comme point de départ le Prix des lycéens. » La transmission fait partie intégrante du prix Bayeux-Calvados : « Cinquante lycées de Basse-Normandie travaillent sur le Prix avec la rencontre d'un professionnel. » explique Jean-Léonce Dupont, qui ajoute : « Nous avons crée dès la première année un mémorial des reporters de guerre avec un certain nombre de stèles où sont gravés depuis 1944 tous les noms des reporters morts dans les guerres à travers le monde. Il y a des listes effrayantes. Cela ne diminue pas. A chaque dévoilement de plaque, nous avons de grands moments d'émotion. »
De l’émotion, la 22ème édition du prix Bayeux-Calvados n’en a pas manqué. Il est toujours difficile d’accepter de voir le nom de Cabu, mort à Paris, rejoindre celui d’un Gilles Caron, photographe français, disparu au Cambodge un jour d’avril 1970, à l'âge de 30 ans, sur une route contrôlée par les Khmers rouges...
Pascal HEBERT