Débarquement (2) : Bayeux, première ville de France libérée
Publié le Par Pascal Hébert
Bayeux est la première ville métropolitaine libérée le 7 juin 1944 au matin. Cette cité du Calvados a été épargnée pendant la guerre et le Débarquement. C’est un miracle ! Alors que la plupart des villes normandes sont bombardées, déchirées, détruites, Bayeux est debout. Aucune bombe, aucun coup de feu n’a atteint cette ville normande jalousement gardée par les deux flèches de la cathédrale.
Dans le chaos des premières heures du Débarquement, Bayeux sort indemne. La cité épiscopale est épargnée par la guerre. Ce miracle, on le doit à Guillaume Mercader, chef de la Résistance du Bessin, qui informe dès le 6 juin les Anglais qu’il ne reste plus de troupes en état de combattre à Bayeux : « Cherchant le contact, en soirée à Bazenville, j‘ai rencontré le capitaine Stuart, officier de l’Intelligence service, de l’armée anglaise. À sa demande, il a été surpris d’apprendre qu’à Bayeux, il n’y avait plus de troupes allemandes », expliquait Guillaume Mercader.
Le mercredi 7 au matin, les Anglais entrent par la rue de la Cave dans une ville ouverte : « Nous devions les conduire à la Poste, rue Laitière où une dizaine d’Allemands étaient restés dans les bâtiments. Bayeux était finalement libéré sans combats. » Chaque jour, les Bayeusains se réunissent place du Château pour être informés de l’avancée des troupes libératrices. Bayeux, devenue ville hôpital, accueille les blessés des combats meurtriers.
De Gaulle : tout commence à Bayeux
La venue du général de Gaulle à Bayeux le 14 juin 1944 est un acte politique fondamental pour la souveraineté nationale. La reconnaissance des Bayeusains - et des Parisiens ensuite - a permis à de Gaulle de contrarier l’impérialisme américain. Le chef de la France libre a une voix. Désormais, il a un visage. Derrière la joie de refouler le sol de France, de Gaulle est grave. L’heure n’est pas au triomphe. Pas encore. Il sait qu’il a une autre guerre à gagner contre ses alliés : la bataille politique. La tension est plus que palpable entre le représentant de la France libre et ses alliés, qui l’empêchent d’avoir une part active dans les opérations du Débarquement.
De Gaulle arrive, malgré tout, à prendre la mer le 14 juin à bord de La Combattante pour retrouver la France. Alors que de Gaulle est parvenu à peser sur ses alliés grâce aux forces françaises libres et à la Résistance, rien n’est gagné pour l’indépendance politique et économique de la France. Les Américains ont en tête d’imposer à la France le projet de l’AMGOT (le gouvernement militaire de l'armée des États-Unis en France), qui leur permet de mettre en circulation des billets de banque non reconnus par le Gouvernement provisoire de la France, créé le 3 juin. L’enjeu est majeur : « Lorsque de Gaulle arrive à Bayeux, il est inquiet. Son combat est légitime. Mais il doit passer de la légitimité à la légalité. Pour lui, la légalité ne tient que s’il a le soutien populaire », explique Jean-Léonce Dupont, président du Conseil départemental du Calvados.
À Bayeux, justement, en ce 14 juin 1944, l’annonce de la venue du chef de la France libre a fait le tour de la cité épiscopale :« Vers midi, dans mon magasin qui était devenu le PC de la Résistance, je recevais le colonel Hettier de Boislambert, chef de liaison du général », précise Guillaume Mercader, chef de la Résistance du Bessin. « Il m’informait que le général de Gaulle venait de débarquer à Courseulles et qu’il était nécessaire de préparer sa venue à Bayeux. »
Vers 16 heures, le général de Gaulle arrive bien à Bayeux. Remontant la rue Saint-Jean, acclamé par la foule qui le suit jusqu’à la place du Château, le général de Gaulle se détend. La population est au rendez-vous. « Maurice Schumann a emmené le général de Gaulle vers l’estrade et, prenant le micro devant une foule en liesse, a présenté “l’homme du 18 juin, l’homme de l’espoir et l’homme de l’avenir”. Le général a prononcé sa première allocution aux Bayeusains libres et avec lesquels il a repris une Marseillaise enthousiaste », confirme Guillaume Mercader, au premier rang des personnalités.
De la légitimité à la légalité
Accueilli comme un sauveur et un libérateur, de Gaulle met aussi en place une administration civile et militaire. Bayeux deviendra la capitale administrative de la France jusqu’au 25 août : « À Bayeux, il nomme Raymond Triboulet premier sous-préfet de la France libre. Il restaure la nouvelle administration française alors que les Américains souhaitaient mettre en place leur propre administration. Symboliquement, c’est à Bayeux que le peuple l’a fait passer de la légitimité à la légalité », ajoute Jean-Léonce Dupont.
Le 16 juin, un agent de l’AMGOT écrivait cette note assez fine : « De Gaulle a organisé un coup d’État très intelligent. Sa position est que nous n’avons pas à nous mêler de politique sous une forme ou une autre. »
« Un peuple, quel qu’il soit, ne peut vivre en oubliant son histoire »
Le 6 juin, les chefs d’État des pays alliés ont commémoré les 80 ans du Débarquement. Au-delà d’une bataille, que faut-il retenir ? Le Débarquement est le symbole de la première coalition armée des démocraties contre la barbarie. Le Débarquement pointe à l’horizon une paix que les démocraties veulent durable. Le Débarquement, c’est aussi la naissance d’une organisation internationale placée au-dessus des États. L’ONU construit ici ses premières bases.
Pierre Messmer, compagnon de la Libération, a déclaré lors d’un colloque à Bayeux, à l’occasion du cinquantième anniversaire du Débarquement :« Un peuple, quel qu’il soit, ne peut vivre en oubliant son histoire. Le Débarquement est le type même d’événement symbolique qui nous replonge dans nos racines. Même si nous célébrons le 60e anniversaire, il n’aura pas la même importance mythique. »
La liberté, la mémoire et la transmission restent les maîtres mots de ce quatre-vingtième anniversaire du Débarquement, véritable phare destiné à éclairer les générations futures. Aujourd’hui, plus que jamais, il est important de mesurer le véritable prix de la paix et de la liberté. L’avenir de l’Homme citoyen ne peut s’envisager sans la mémoire.
Pascal Hébert