France Culture

Le Trésorier-Payeur, de Yannick Haenel

Publié le  Par Pascal Hébert

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Francesca Mantonvani

Il y a de vrais philosophes chez les banquiers. C’est du moins ce que nous dit Yannick Haenel dans son dernier roman, Le Trésorier-Payeur. Que se passe-t-il dans la tête d’un homme qui a le regard penché toute la journée sur des colonnes de chiffres ? Et que représentent ces fameux clients qui ont de l’argent à ne plus savoir qu’en faire ou qui viennent tenter d’amadouer leur conseiller pour éviter une banqueroute assurée et par conséquent, une descente aux enfers ? Avec Bataille, Yannick Haenel nous introduit dans le monde feutré de la prestigieuse et énigmatique Banque de France.

Stagiaire dans un premier temps, Bataille, qui a une orientation avant tout philosophique, se lance dans le monde de l’économie. Loin de l’archétype de l’économiste ou du futur banquier, il désarçonne ses camarades de classe et ses collègues de travail. Toujours à part, c’est un peu le maître mot de la vie de cet homme au comportement non conforme, Bataille prend son premier poste à Béthune. Dans cette succursale de la Banque de France, il découvre les ravages causés par la fermeture des mines avec pour corollaire des personnes qui sombrent dans la pauvreté, le surendettement. Confronté à la vraie vie, Bataille ne se laisse pas enfermer dans le monde chimérique des seuls chiffres. En charge des dossiers de surendettement, il voit derrière tous ces comptes débiteurs, des vies brisées, des histoires humaines. Loin d’être indifférent, le trésorier-payeur vient en aide à un couple de Polonais dans une misère noire.


Ce qui fait dire à Bataille : « D’un même geste l’argent sauve et ruine : dans la crypte où se multiplient les bénéfices des uns, s’effondrent les comptes des autres. La société ne cesse de dépouiller ceux qui n’ont rien ; elle veut, en leur prêtant l’argent qui les asservit, que même les pauvres participent au banquet funèbre de la dette : ce fonctionnement s’appelle l’économie. » Et Haenel d’expliquer : « La crise n’est pas juste un mauvais moment à passer, elle est le nom de tous les moments que nous allons vivre car il n’y aura pas d’autre temps désormais que celui de l’économie, c’est à dire qu’il n’y aura plus que la crise : le temps sera devenu la crise, et la crise sera devenue le temps. »


Tout au long de ce roman, Yannick Haenel distille par le biais de Bataille des vérités sur notre mode économique que peu, il faut bien en convenir, comprennent ou ne veulent comprendre: « Ce ne sont pas seulement les pauvres gens qui sont séquestrés dans leur insolvabilité, écrivait par exemple Bataille, mais le système lui-même qui est insolvable. L’économie nous veut endetté, écrivait-il ; elle produit de la dette – elle nous produit comme dette. Et les banques commerciales sont complices en cela des organismes de crédit puisqu’elles prennent en otage des débiteurs qui passent leur vie à rembourser un argent qui ne leur a été octroyé qu’afin que leur dette nourrisse les bulles spéculatives qui bientôt les engloutiront. »


Pour Bataille, le salut de son âme arrive avec la charité, le rêve et l’érotisme… bien loin de la société de consommation. Les seuls moyens pour lui d’éviter de s’engrillager comme son directeur : « S’il arrivait à Dereine de se joindre au chœur des cyniques, c’était avant tout parce qu’il était prisonnier du monde de l’argent : quand on dirige une banque, on fait taire son coeur. » A bon entendeur !


Pascal Hébert


Le Trésorier-Payeur,  de Yannick Haenel. Éditions Gallimard. 413 pages. 21 euros.







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