Les exilés meurent aussi d’amour d’Abnousse Shalmani
Publié le Par Pascal Hébert
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Le roman d’Abnousse Shalmani est intéressant à divers titres. A l’heure où l’on parle tant de l’immigration, de ces migrants qui viennent comme réfugiés ou clandestins sur nos côtes, la voie d’Abnousse Shalmani nous permet, à nous les autochtones titulaires d’une carte d’identité française, d’entrer dans leur univers, dans leur monde.
Abnousse Shalmani est née dans l’Iran du Shah. A une époque où le Shah voulait justement entrer de plain-pied dans la modernité. En ces temps anciens, il n’était même pas question de voile. Bien au contraire ! En allant un peu trop loin et un peu trop vite, le Shah est tombé de son piédestal pour laisser sa place à un barbu sorti tout droit du Moyen-Âge et de la révolution islamique. Un bel exemple d’effet balancier. Un voile noir est ainsi tombé sur un pays qui a condamné à l’exil plusieurs milliers d’Iraniens dont la famille Shalmani. Un voile noir qui a également recouvert les têtes des femmes. Tout au long des 400 pages de son roman Les exilés meurent aussi d’amour, l’auteure nous fait entrer par la petite porte pour écouter et voir une famille exilée essayer de vivre ou de survivre loin de son pays natal. Abnousse Shalmani ne cache rien dans ce livre en forme de témoignages. On découvre une famille déracinée qui s’accroche à son organisation matriarcale avec des sœurs toutes puissantes agissant dans cette nouvelle vie parisienne en fonction de leur talent, de leur apparence et de leurs convictions politiques ou plutôt révolutionnaires. Shirin, malgré ses 9ans et sa grande discrétion, ne perd pas le fil de l’histoire qui se joue sous ses yeux dans un appartement bien trop petit pour accueillir une famille aussi nombreuse. Ses tantes sont toute survoltées. Dans ce clan communiste, la passion révolutionnaire est bien l’arbre qui cache la forêt du quotidien où chacun essaie de s’en sortir comme il peut. La petite Shirin se rend compte rapidement du cynisme de la situation et que les idéaux collectifs cachent bien souvent une revanche personnelle ou un moyen d’exister tout simplement. Dans cette communauté, les tabous ne se comptent plus. Les hommes n’ont pas la part belle. L’inceste jaillit avec une violence insoupçonnée du côté d’un grand-père particulièrement libidineux. Quant au père de Shifrin, il ne cesse de s’effacer. La revanche des hommes arrivera du côté du petit frère qui n’hésitera pas à agir principalement contre ceux qui font du mal à sa mère.
Dans ce roman truculent, Abnousse Shalmani n’enjolive aucune situation. Il nous permet de mieux comprendre la difficulté d’arriver dans un pays et d’adopter la position d’un étranger, d’un métèque. Car n’oublions pas que des Onasis ne se sentent jamais étrangers dans n’importe quel pays où ils séjournent. C’est bien là toute la différence entre ceux qui ont de l’argent, une minorité, par rapport à ceux qui arrivent de leur pays, orphelins et sans le sou, une large majorité...
Pascal Hébert
Les exilés meurent aussi d’amour, d’Abnousse Shalmani aux éditions Grasset. 400 pages. 22 €