Eurodictée : sport, orthographe et cohésion sociale
Publié le Par Laurent Pradal
Laurent Pradal
Samedi 28 mai se tenait dans le 20e de Paris l’une des dictées de l’Eurodictée 2016, que notre rédacteur s’est amusé à faire parmi une centaine de participants.
Rendre la dictée accessible à tous, c’est le pari de la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) qui, depuis quelques semaines a lancé l’Eurodictée 2016 dans plusieurs villes d'Île-de-France. Le principe : proposer aux habitants de tous âges et de tous horizons un exercice assez décrié à l’école, dans le but de lui rendre ses lettres de noblesse. Le but est également de permettre aux participants de partager un moment de convivialité autour de la langue française et du sport. Selon Rachid Santaki, chargé de mission à la DRJSCS et inventeur de l’Eurodictée, l’idée est de créer une « force de cohésion sociale », mais aussi de « passer un bon moment avec la langue française ».
Samedi 28 mai, au gymnase Maryse Hilsz dans le 20e arrondissement de Paris. Il est 14h20, la salle où se déroule la dictée se remplit assez rapidement, grâce à la météo très peu clémente de ce début d’après-midi. Il pleut des trombes d’eau, mais cela n’a pas empêché les participants de se déplacer. C’est qu’ils veulent la faire, cette dictée ! Et pour cause : les vainqueurs remportent deux places pour un match de l’Euro 2016. Une motivation qui se suffit à elle-même pour se prêter à l’exercice. C'est sur le point de commencer.
En attendant Rachid Santaki, qui officie en ce jour en tant que lecteur, les participants s’installent. Quatre personnes par table, pas plus. Les élèves du jour ? Des familles pour la plupart. Beaucoup d’adultes, quelques enfants : tous viennent d’horizons divers, de milieux sociaux différents et se retrouvent dans un même but : se prêter à un exercice qui efface toutes différences, qui met tout le monde sur un même pied d’égalité : la dictée. Une mixité sociale comme on aime tant en voir en France, du moins pour certaines personnes.
Chacun est à sa table. Certains discutent entre eux, d’autres sont affairés sur leur téléphone, tous attendent. L’ambiance est bon enfant et la convivialité est là, bien présente, palpable. Et puis notre lecteur arrive. Il explique les règles à tous : les enfants ne feront que les deux premières phrases, les collégiens deux de plus, et les lycéens et les adultes feront l’extrait entier. L’œuvre du jour ? Impossible de le savoir avant d’avoir terminé l’exercice. Le lecteur précise également : pas de liaisons pendant la lecture. Une difficulté supplémentaire qui stimule l’audience, prête à en découdre.
La dictée commence…
« Une porte s’ouvrit dans l’escalier… Une porte… s’ouvrit… dans l’escalier, point », commence Rachid Santaki, le professeur du jour. Un silence monacal s’installe. Tout le monde s’affaire sur sa copie, qui ressemble étrangement à une feuille d’examen. Un moyen supplémentaire de pression ? C’est possible. Tout est bon pour déstabiliser les participants, mais toujours dans la bonne humeur. La dictée continue, et chacun se concentre pour ne pas faire de fautes. Une main se lève : « Est-ce qu’on doit sauter des lignes ? » demande une jeune femme assez rapidement, l’air amusée. La réponse : on fait un peu comme on veut. Pas de règle, rien n’est imposé, il faut juste aller jusqu’au bout de l’exercice.
Au bout de trente minutes, les participants en voient le bout. Ça y est, alea jacta est comme on dit. Maintenant il faut attendre, maintenant il faut s’occuper pendant que les correcteurs s’affairent dans une salle à part. Pour les plus épuisés par l’exercice, une collation est organisée à l’extérieur du gymnase : du jus de fruits et des gâteaux. Le texte : un extrait de Bel Ami, de Guy de Maupassant. Tous semblent assez satisfaits, certains parlent de la dictée, d’autres retournent sur leur téléphone. Et on attend…
Une correction rapide mais extrêmement sérieuse
Pendant ce temps, les correcteurs ont la lourde tâche de relever les fautes. Quelques garçons, beaucoup de jeunes demoiselles : tous font partie de l’association Force de mixité. Chacun a un paquet de copies, et relève les fautes sur chaque texte, guidé par l’extrait photocopié. « Plus cinq » crie l’une d’entre elle. « J’ai plus de trois fautes sur celle-ci », crie une autre correctrice. Beaucoup de copies avec zéro faute, ce qui change un peu les règles de correction en fonction des catégories : dans certaines, une faute est éliminatoire, dans d’autres, c’est plus de trois. Tout dépend du nombre de participants et du nombre de gagnants par catégorie. L’ambiance est studieuse, mais conviviale.
Après correction de toutes les copies, on se les échange pour une dernière vérification. Pas droit à l’erreur dans ce genre de compétition. L’enjeu est bien trop important et la rigueur est de mise. Medhi, qui supervise tout en ce jour, y tient tout particulièrement. Il organise les corrections pour ce jour-ci, le président de l'association, Abdellah Boudour, n'ayant pas pu se déplacer. Il est tout de même bien rodé à l’exercice. Une fois les vérifications terminées, on sélectionne les gagnants en fonction du nombre de fautes, mais également en fonction du nombre de ratures pour les meilleures copies qu’il faut bien départager. On inscrit le nom des gagnants et le nombre de participants.
Au total, 141 personnes se sont déplacées pour tenter sa chance en ce jour. Pari réussi pour Rachid Santaki et la DRJSCS. On retourne en salle pour annoncer le nom des vainqueurs, et c’est là que la cohésion sociale prend tout son sens : on félicite les gagnants, on rigole, on s’amuse. Beaucoup d’enfants ont gagné, des enfants de tous horizons, de toutes classes sociales, aucune distinction. En fait, tout le monde a gagné en un certain sens, tout le monde étant allé au bout de l’exercice, les bons comme les moins bons. Au final, en France, on n’est pas si mauvais que ça en dictée. Et ça se sent, on le comprend de manière empirique après correction des copies. On s’en étonne, même. On retrouve une confiance perdue, on se sent ragaillardi. Et c’est peut-être ça, au fond, le but de l’Eurodictée : au-delà de la cohésion sociale que l’exercice veut instaurer, le but est également de désacraliser un exercice qui a effrayé ou effraie encore aujourd’hui de nombreuses personnes.