Le Tour de l’ennui
Publié le Par Jacques-Henri Digeon
Avec une équipe Sky glaciale de réalisme et une course aseptisée, on s’est bien ennuyé cette année sur le Tour de France…
Copié-collé. L’idée était pourtant séduisante : 65 kilomètres avec trois gros cols, départ mode F1, les dix premiers dans l’ordre sur une grille, le reste de la troupe regroupé en sas successifs toujours selon le classement et d’entrée en montée. Ca allait "visser" d’entrée, les cracks allaient "mettre le feu", on allait assister à du grand spectacle… Tu parles ! Le beau monde a embrayé au ralenti et attendu les équipiers pour le train-train habituel dès les premiers hectomètres. Seuls quelques aventuriers ont eu carte blanche… Et comme d’hab’, il a fallu patienter jusqu’aux dernières rampes pour que les ténors en décousent… Schéma copié-collé d’une course bridée, sans imagination, sans risque, enfermée dans trop d’intérêts particuliers et dictée par la loi des oreillettes, capteur de puissance, scanner espion et autres suiveurs branchés télé. Et glacial réalisme britannique de Sky oblige, le Tour a été encore plus cadenassé par cette équipe tue-l’amour où les soldats ne se serrent jamais la main de crainte de se contaminer, n’ont droit à aucun bon de sortie ; avec pour unique contrainte d’obéir le doigt sur la couture du cuissard. Il est vrai qu’avec un budget trois fois supérieur à ceux des équipes et des salaires conséquents, mieux vaut respecter les consignes et laisser ego et ambition dans les car-pullman…
Sans suspense. Loi de Sky donc mais aussi plaines soporifiques, pavés sans relief, montagne hypnotique, chrono anesthésiants, voilà ce que l’on retiendra de ce Tour, le plus ennuyeux qu’on ait connu ces dernières années. « Rude mais sans suspense », reconnaît d’ailleurs Christian Prudhomme.
Bien sûr, l’année "sans" de Romain Bardet, trop vite privé de trois équipiers majeurs, les sorties prématurées de Richie Porte, spécialiste du bitume, de Roberto Uran en souffrance après les pavés du Nord, de Vincenzo Nibali à terre dans l’Alpe, ont favorisé les desseins des blancs plus blancs que Sky et contribué à l’endormissement général.
Bien sûr, on a pu espérer qu’un Primoz Roglic titille Froome et flirte avec le podium dans les ultimes ascensions pyrénéennes, bien sûr on a apprécié le panache inutile du romantique Dan Martin, bien sûr on s’est réjoui, des raids à pois et des deux succès de Julian Alaphilippe ou encore des promesses d’avenir de Pierre Latour. Mais tout ça était trop peu pour que l’on se passionne dans ce Tour de l’ennui. Christian Prudhomme, Thierry Gouvenou et ASO (Amaury Sport Organisation) vont devoir se livrer à quelques belles séances de remue-méninges pour, excusez les termes, doper l’enthousiasme des passionnés, innover encore et toujours en cassant les schémas habituels du cyclisme dit moderne pour redonner du souffle (c’est de circonstance pour qui vous savez…) et de l’épique à ce qui demeure encore la plus grande course du monde. Pour qu’on en finisse avec cet ennui qui naît de l’uniformité
Autre temps… Question ambiance enfin, là encore tout est aseptisé. Quelques réactions timides du peloton sur le blanchiment de Froome (Hinault et quelques ex ont été plus virulents…), des sourires, embrassades de façades et accolades de bisounours entre le duo Froome-Thomas pour donner le change. Car on peut raisonnablement imaginer que la défaite est restée en travers de la gorge d’un Froome qui rêvait de rejoindre les légendaires Anquetil, Merckx et Hinault*… N’aurait-il pas été chevaleresque que les deux Britanniques auto-déclarés les plus forts (entre les lignes…) osent se livrer un duel fratricide sur les pentes pyrénéennes comme le firent au siècle dernier (une éternité !) Hinault et LeMond. Avec sa verve bien bretonne, le Blaireau n’a pas oublié les dessous de la victoire de l’Américain en 1986, les deux champions de Bernard Tapie ne s’étant faits aucun cadeau malgré leur apparente complicité à L’Alpe-d’Huez. Autre temps, autres mœurs…
* On a volontairement ''oublié'' l’Espagnol Indurain qui se contentait des chronos pour asseoir ses succès et n’avait pas le panache des trois autres…