Le temps presse pour le rugby français
Publié le Par Jacques-Henri Digeon
Après deux tournées ratées, Bernard Laporte a viré Guy Novès pour le remplacer par Jacques Brunel. Une première dans le rugby français. Mais les méthodes du président interpellent et le rugby français n’a plus de temps à perdre…
Dans deux de ses éditions de fin d’année, L’Equipe a présenté le quinze type du Top 14 2017 des journalistes de rugby. Pas moins de sept joueurs étrangers dont quatre Fidjiens et même un Georgien avaient été sélectionnés. La moitié d’un quinze… Le lendemain, ces mêmes observateurs de la rubrique composaient leur quinze mondial. Et là, comme si le ciel nous était tombé sur la tête, aucun Français ! Des All Blacks, en majorité bien sûr, des Anglais ‘’of course’’, un Ecossais, deux Irlandais et un Springbok. Du noir, du blanc, du vert, et si ce n’est celui foncé de l’Ecossais, pas la moindre trace de bleu français.
En deux doubles pages, L’Equipe confirmait une grande partie du problème d’une ovalie française qui bafouille son rugby au fil des années pour aujourd’hui le perdre et ne plus trop savoir comment le retrouver. Sur le plan national, le Top 14 a laissé s’échapper ses valeurs de terrain, son imagination et ses fulgurances pour se fondre dans un système fermé où défendre est devenu la référence en même temps que le rentre-dedans parfois à la limite de la violence. Et puis, devenu professionnel à l’excès, ce championnat de clubs-entreprises à l’ambition dévorante et à sa soif de notoriété a voulu d’abord miser sur l’immédiateté du clinquant, de l’image, du vedettariat et du coûte-que-coûte.
Label frenchie. Il a ainsi laissé sur le bord de la touche son identité, sa marque de fabrique et son label frenchie, tout ce qui faisait sa force. Résultat, il a oublié au vestiaire toutes ces les pépites écloses dans ses centres de formation que les autres nations lui enviaient pour collectionner les pierres précieuses venues du bout du monde. Les clubs y ont trouvé leur bonheur. En revanche, l’équipe de France, elle, en a perdu sa brillance et ses références. Et même, si respect oblige, elle est toujours (un peu) crainte par ses adversaires, elle ne les effraie plus guère…
Fort d’une élection présidentielle dynamique et dénonciatrice d’un passé d’immobilisme, Bernard Laporte a voulu se montrer l’homme du renouveau, celui qui tranche, qui décide, qui remue les troupes, qui innove … Et qui gagne ! Avec comme première grande victoire, ce billet raflé à l’Irlande et à l’Afrique du Sud pour l’organisation de la Coupe du monde 2023, ce qui n’était à priori pas évident même si la France avait le vent en poupe après le choix de Paris pour les Jeux 2024.
Bernie la bricole. On voudra bien croire que cette campagne a mobilisé une grande partie de son énergie. Tout autant que l’affaire -moins glorieuse- de favoritisme à l’endroit de Montpellier et de son président Altrad.*
Mais pour l’équipe de France et son sélectionneur, ‘’Bernie’’ a plutôt fait du bricolage. Un coup, je visse et je fais confiance à Guy Novès ; le jour d’après, je dévisse et lui lance le défi (impossible) de trois victoires en automne dont deux contre les Blacks. Pour finalement le virer après lui avoir renouvelé sa confiance (ou fait croire que…), sans entretien préalable et plus ou moins par voie de presse. Ce qui, au passage, n’a pas reçu la moindre adhésion des acteurs de l’ovalie nationale, habitués à plus de transparence. Pas très pro, tout ça !
Belle idée. Jacques Brunel, le bon vieux pote, intronisé (ce qui était un secret de Polichinelle), la grande idée allait alors émerger : un staff ‘’multi’’ autour du nouveau sélectionneur avec des entraîneurs du Top 14 apportant à la pige leur grain de sel aux développement des Bleus. Avec tout le risque de les mettre en porte-à-faux pour, par exemple, la sélection ou l’éviction d’un de leurs joueurs. La fin de non-recevoir de la plupart d’entre eux démontre en tout cas qu’une belle idée n’est pas forcément bonne. D’autant plus lorsqu’elle est lancée sans aucune concertation ou sans étude préalable. De l’amateurisme ont laissé entendre certains…
Planche savonnée. Pour en revenir à cette éviction de Guy Novès, il faudra bien s’interroger sur le ‘’calendrier’’ du temps perdu de Bernard Laporte. Les deux hommes ne s’entendaient que de façade. Alors, même si l’affaire aurait été inévitablement polémique, n’aurait-il pas été plus simple de changer de sélectionneur après le Tournoi 2017 voire après la tournée sud-africaine plutôt que de tourner autour du pot. Mais, conscient de l’actuelle faiblesse du Quinze de France, n’y avait-il pas un risque à un retour de bâton en cas de nouvel échec de campagne automnale de la nouvelle équipe avec un nouveau coach ? Mieux valait donc attendre de voir Novès se planter avec les Bleus… Peut-être était-ce aussi dans le but de savonner la planche du Toulousain en lui imposant un faux-match contre les Blacks en automne après lui avoir coupé son groupe en deux avant la tournée chez les Springboks… A cet effet, Guy Novès, dans le JDD (7 janvier) laisse clairement entendre que Serge Simon, le bras droit de Laporte a joué un rôle de sous-marin déstabilisateur… Ambiance !
Réunificateur annoncé, Bernard Laporte est-il un simple agitateur d’idées ou un vrai sauveteur ? L’avenir le dira.
On en est donc là et le rugby français s’interroge toujours. Jacques Brunel a formé son staff et communiquera la semaine prochaine sa première sélection. Le 3 février, les Bleus recevront l’Irlande, 3e ‘’puissance’’ mondiale, au Stade de France. Ils seront attendus au tournant, comme Brunel, comme Laporte, comme le rugby français qui jouera cette année son avenir à un an de la Coupe du monde 2019… Le temps presse !
* Intervention auprès de la commission d’appel pour réduire des sanctions du club héraultais ; accord donné au milliardaire entrepreneur d’acheter (ce qui ne s’est pas fait…) le club de Gloucester sans s’assurer le moins du monde de l’éthique rugbystique et sportive ; et enfin, appel d’offre très (trop) court pour le partenariat maillot des Bleus finalement attribué (6,8 millions d’euros par saison) lundi au… Montpelliérain, seul candidat en lice.