Libre-échange : les liaisons dangereuses
Publié le Par Un Contributeur
La France a su défendre son "exception culturelle", mais les négociations commerciales à venir entre les États-Unis et l'Europe s'annoncent à hauts risques. Par Antoine Laray
Que l’on ne se méprenne pas ! L’exception culturelle pour l’audiovisuel que la France vient d’imposer à l’Europe, est certes une victoire pour elle, mais le danger pour notre cinéma ne vient pas vraiment d’Allemagne, de Suède ou d’Italie.
Au mieux, c’est un mandat délivré aux négociateurs européens quand ils entameront, sans doute dès cet été, les discussions sur les échanges commerciaux avec les Etats-Unis. Au pire, une victoire à la Pyrrhus.
Il faut plutôt admettre que le cinéma français tire bien son épingle du jeu depuis l’après-guerre. Quand les Américains voulurent imposer un quota de leurs films à la Libération, le public français se rua dans les salles mais la profession descendit dans la rue. Les accords signés entre Léon Blum et le Secrétaire d’Etat américain James Byrnes, avaient provoqué une chute du nombre de films français, qui, de toute manière n’avaient pas assez de salles pour les diffuser.
Bref, le petit monde du cinéma fit bloc. Dans la foulée, le CNC fut créé et une idée retenue : prélever un faible pourcentage sur chaque ticket, qui puisse être alloué en avance sur recettes à des projets de films.
Mariage entre petit et grand écran
Plus tard, la création de Canal+ qui consacre 12 ,5% de son chiffre d’affaires au cinéma donna un coup de fouet au septième art. En 2010, elle consacra près de 195 millions d’euros sur 155 films agréés. Les investissements dans les films, toutes chaînes de télévision confondues, étaient globalement en progression de 20% en 2010 par rapport à 2009, à 360,83 millions, ceux des chaînes à péage augmentèrent de 24,4% à 253,65 millions d’euros et ceux des chaînes en clair enregistrèrent une hausse de 22 % pour atteindre 135,2 millions d’euros. Un système contraignant mais qui garantit une production française. La France a réussi son mariage entre petit et grand écran.
Cela dit il ne faut pas se leurrer. Il sort en France entre douze et quinze films de cinéma par semaine, tous pays confondus. Il faut alimenter une cinquantaine de chaînes qui diffusent chaque jour une petite centaine de films, certes en boucle et à diffusion multiple. Tout ça, sans compter Internet qui prend progressivement la main sur le secteur… La donne change. Comme pour la musique se pose la question des droits d’auteurs dans un système qui est déjà extraordinairement complexe. La première loi Hadopi votée en France est remise sur le métier, un exemple.
« On ne peut pas imiter complètement le système américain. Je le respecte, on se nourrit de la culture américaine, mais je ne veux pas que leur système s'établisse en Europe », a estimé Costa Gavras, qui dirige actuellement la cinémathèque française. « Evidemment, il faut revoir l'exception culturelle avec les géants comme Google qui entrent dans l'audiovisuel, qui sont très gourmands et qui ne paient pas d'impôts. Il faut les y soumettre », a ajouté le réalisateur franco-grec. Revoir « et » ne pas revoir, telle est la question.
Guerre de tranchée
Les raisons de faire capoter un accord de libre-échange entre deux puissances économiques qui représentent 40 % du commerce mondial ne manquent pas. Une véritable guerre de tranchée où les cultures « OGM » et les viandes gonflées aux hormones font face à nos armées de foie gras, de champagne soucieux de son appellation ou de « roquefort » peu compatible avec la pasteurisation. Bien que les droits de douane soient relativement bas de part et d'autre, la difficulté des négociateurs sera de s'entendre sur des normes commerciales et technologiques communes dans des domaines tels que l'agriculture, la chimie ou la pharmacie.
Les discussions qui commenceraient cet été pourraient durer un ou deux ans, estime-t-on, alors que les Etats-Unis doivent boucler cette année leurs discussions avec dix pays d'Asie-Pacifique sur un accord de libre-échange.
Les échanges entre les Etats-Unis et les 27 pays de l'UE représentent quelque 1.000 milliards de dollars par an, et les deux parties ont mutuellement des investissements directs de quelque 3.700 milliards au total.
Mais en réalité, la mise sur le tapis des accords commerciaux tombe plutôt mal. L’économie américaine repart alors que l’Europe est en récession… Pas terrible pour négocier !
Antoine Laray est journaliste économique et financier