Faim dans le monde : le livre-choc de Bruno Parmentier
Publié le Par Patrick Béguier
Faim zéro ! Une illusion ? Non. Un défi que les hommes peuvent relever s'ils ont la volonté de se retrousser les manches, nous démontre Bruno Parmentier dans un livre argumenté, optimiste et pédagogique.
Ça commence par un douloureux constat : "Sur notre belle planète bleue, au milieu des années 2010, près de 850 millions de Terriens se couchent tous les soirs avec une faim qui leur donne mal au ventre, en se demandant comment ils pourront se nourrir suffisamment le lendemain". Puis monte la colère : "Si on voulait vraiment en finir avec ce fléau, à peine 10 milliards de dollars de dépenses annuelles suffiraient pour sauver ces vies, à condition qu'ils soient bien employés… Et chaque dollar investi de la sorte pourrait en rapporter à terme au moins trente en activité économique supplémentaire, en réinsérant les exclus dans le circuit économique de production et consommation de richesses."
Après un état des lieux qui amène l'auteur à s'alarmer devant des phénomènes naturels sur lesquels nous n'avons guère de pouvoir (l'augmentation de la population et les effets du réchauffement climatique dont notamment l'avancée des déserts et le tarissement des nappes phréatiques), Bruno Parmentier pointe un doigt accusateur sur les comportements politiques, les conséquences directes des guerres, les effets pervers de la mondialisation économique. Or, là, l'homme est pleinement responsable.
Une centaine de pages qui pourraient nous enfoncer dans les plus sombres réflexions.
OGM ou pas ?
Mais très vite, l'optimisme renaît. D'abord, parce que, en quarante ans, la croissance de la production agricole mondiale a été spectaculaire. Certes, des limites apparaissent. Comme le précise bien Bruno Parmentier, le concept de "révolution verte", qui a vu le jour dans les années 1960, a été "un miracle seulement pour quelques pays et quelques décennies". La raréfaction des ressources naturelles menace l'agriculture intensive. Oui, mais les OGM ? La réponse est claire : "Les OGM sont le fruit d'une technologie destinée à des agriculteurs très formés, ayant les moyens de s'intégrer à l'économie mondiale et qui produisent pour des consommateurs solvables. Cette voie de "progrès" de l'agriculture mondiale n'est pas adaptée au développement de la petite agriculture familiale intensive, enjeu majeur pour résoudre le problème de la faim". Et de préciser plus loin : "Les OGM ne peuvent représenter à eux seuls, comme le disent imprudemment leurs laudateurs, la solution d'avenir de l'agriculture mondiale, mais dans le même temps ils pourront peut-être en faire partie, quoi qu'en disent les anti-OGM".
L'auteur fait preuve parfois d'une... prudence toute paysanne.
Agroécologie
En fait, il place principalement ses espoirs dans l'agriculture écologiquement intensive et rejoint ainsi ce qu'il considère être l'axe de recherche majeur du CIRAD (le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). L'idée force : s'inspirer de la nature, l'imiter, plutôt que de "la contrecarrer, comme on le fait avec obstination depuis les années 1960 avec une efficacité qui commence à marque le pas". Le lecteur pourra ainsi passer en revue le "sans labour", les associations de plantes qui s'aident à pousser, l'agroforesterie (pour exploiter plus en profondeur la terre)… Suivent des mises en garde : le risque des "guerres pour l'eau"; cette idée fausse, par rapport au problème de la faim dans le monde, que la grande exploitation agricole est préférable à la petite ; l'obligation de prendre en compte le social et l'éducatif avant de diffuser des techniques ; le problème (nouveau, celui-là !) de l'accaparement des terres agricoles par certains pays (Chine, Corée du Sud, émirats arabes…) au détriment des populations locales, car il s'agit alors de satisfaire les besoins des pays investisseurs, voire de produire des agrocarburants pour faire rouler leurs voitures…
Nous voici revenus à l'action humaine ! Les derniers chapitres du livre se concentrent sur les nécessaires collaborations entre institutions internationales, ONG et fondations pour en finir avec "la faim, ce fléau créé par l'homme".
Fléau ? Curiosité de notre langue française : le fléau, c'est aussi un instrument à battre les céréales. Celui-là, l'homme doit le prendre à pleines mains et le manier énergiquement pour sortir d'une situation totalement inadmissible en ce 21ème siècle.
Bruno Parmentier est ingénieur et économiste. Il est l'auteur du grand succès de librairie Nourrir l'humanité (La Découverte, 2007) et de Manger tous et bien (Seuil, 2011).
Faim zéro - En finir avec la faim dans le monde (préface d'Olivier de Schutter) est paru aux éditions La Découverte. 256 pages - 19 euros