Gaz de schiste : un trésor énergétique qui coûte écologiquement très cher.
Publié le Par Jennifer Declémy
Revenu dans le débat public au gré de petites phrases gouvernementales, le gaz de schiste ne cesse de susciter les polémiques depuis plusieurs années. Décryptage.
Ce sera un des débats de la rentrée pour la ministre de l’environnement, Delphine Batho, qui réunira autour d’elle, les 14 et 15 septembre, des acteurs de l’environnement pour une grande conférence nationale sur ce sujet. Et le sujet du gaz de schiste devrait, sans nul doute, y être abordé alors que le débat s’annonce compliqué.
Le gaz de schiste qu’est-ce que c’est ? De « l’or gris » pour certains, mais plus communément, il s’agit d’un gaz d’origine naturelle que l’on extrait de roches poreuses se trouvant souvent très loin sous Terre, parfois à deux, voire trois kilomètres de profondeur. Exploité aux Etats-Unis depuis les années 1990, le gaz de schiste est devenu un enjeu majeur pour les écologistes depuis que les mêmes américains ont décidé de passer à la vitesse supérieure dans l’exploitation de cette ressource naturelle, en 2005.
Le problème de cette ressource, dont l’exploitation permettrait de sortir d’une dépendance au pétrole, est qu’elle est accompagnée de très lourdes conséquences négatives pour l’environnement, et de facto pour nous les êtres vivants sur cette planète. Ainsi, de nombreuses études mettent en exergue la pollution des nappes phréatiques et de l’air qu’une fracture hydraulique (seul moyen d’extraction du gaz de schiste pour le moment), entraine dans son sillage. Un rapport très détaillé établi il y a quelques années par le Parlement européen insiste d’ailleurs sur ces conséquences néfastes pour les êtres vivants.
« Les dommages, nombreux, incluent l’augmentation des taux de radon dans les maisons. Le radon est un gaz radioactif incolore et inodore présent dans les sous-sols (…) Ce qui accroit de 30% le risque de cancer du poumon » comme l’explique l’eurodéputée Michèle Rivasi. Sa collègue Sandrine Bélier elle souligne que « l’étude reconnait la nature inévitable des impacts de l’extraction du gaz de schiste, notamment sur l’air et les nappes phréatiques. L’étude fait également état de nombreux accidents répertoriés aux USA et de leurs dommages causés à l’environnement et à la santé humaine ».
En France, si un permis avait été accordé à Total en 2010 par l’ancien ministre de l’environnement Jean-Louis Borloo, une loi du 13 juin 2011 opère un revirement et interdit la fracturation hydraulique « sauf à des seuls fins de recherche scientifique et sous contrôle public ». Une interdiction qui ravit les anti-gaz de schiste, indigne les pro- et pourrait être facilement remise en cause même si le président Hollande et sa ministre de l’environnement Delphine Batho ont promis qu’il n’y aurait pas de remise en cause de cette loi. Ainsi, lors d’une rencontre avec les ONG environnementales le 24 juillet dernier, le Premier ministre a refusé de prendre position sur ce sujet, invoquant la future conférence environnementale, tandis que certains ministres ne disent pas explicitement non à l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels.
Mais si, pour le moment, une loi interdit l’exploitation du gaz de schiste en France, le débat n’en est pas pour autant fermé et les lobbys continuent de militer pour obtenir des permis d’exploitation et rouvrir le débat. L’industrie pétrolière avait d’ailleurs dénoncé, lors de l’adoption de la loi d’interdiction, « une interdiction arbitraire et rétrograde ». Car les enjeux économiques et géopolitiques qui sont ici sur la table sont considérables. En effet, l’exploitation du gaz de schiste en France permettrait de faire 10 milliards d’euros d’économies chaque année, en plus de couper notre dépendance énergétique aux autres pays.
« La volonté de limiter la dépendance au gaz importé de Russie pousse les pays européens à s’intéresser aux gisements non conventionnels » souligne l’Institut français du pétrole, rappelant que les Etats-Unis se sont d’ailleurs lancés dans la course au gaz de schiste pour sortir de la dépendance énergétique qui les liait aux pays du Moyen-Orient, souvent instables et/ou hostiles au modèle occidental. Pour les défenseurs du gaz de schiste, comme le journaliste Jean-Michel Bezat qui a signé en juillet dans le Monde un édito en faveur du gaz de schiste, « certains experts jugent que cette industrie a contribué pour 38,5% à la croissance du nord du Texas au cours des dix dernières années » explique-t-il après s’être rendu au Texas lors d’un voyage de presse organisé par…Total et Chesapeake.
L’Amicale des foreurs et des métiers du pétrole a également écrit à la ministre de l’environnement le 30 juillet dernier pour un lobbying intensif en faveur du gaz de schiste. « Il est injuste de faire état de dégâts considérables sur l’environnement » écrivent les foreurs qui mettent en avant « les techniques de forage (…) et la technique très pointue de la fracturation hydraulique » pour nier les risques environnementaux. Ce à quoi la députée européenne Corinne Lepage répond « le lobby pétrolier dit que c’est idiot de se priver d’une ressource e temps de difficultés économiques. Mais il faut avoir une vision globale : si ça relance l’activité pétrolière, qu’est-ce que ça coûte aux autres secteurs, aux investissements dans l’efficacité énergétique et les renouvelables, quelles conséquences pour l’activité agricole et combien de destruction d’emplois dans ce domaine… ».
En réalité, même si une loi a déjà été adoptée l’année dernière, le débat est loin d’être clos en France, d’autant que certains voisins européens comme la Pologne sont résolument pour l’extraction du gaz de schiste. Si les intentions du Gouvernement socialiste ne sont pas encore très claires sur ce sujet, la participation des verts à la majorité devrait néanmoins rassurer les anti-gaz de schiste qui connaissent l’opposition résolue d’Europe Ecologie à ce sujet. Ce n’est pas pour autant que les débats ne vont pas être virulents dans les mois à venir.
Voir aussi : le gaz de schiste, point de rupture entre le PS et EELV ?