Le Revenu de Solidarité Active : un fonctionnement absurde
Publié le Par Julie Catroux
Le bilan est mitigé près de trois ans après la mise en place du RSA (Revenu de solidarité active) créé par la loi du 1er décembre 2008 et entré en vigueur mi-2009.
Ce qui était censé favoriser le retour à l’emploi des bénéficiaires des minima sociaux en ajoutant une nouvelle prestation, « le RSA activité », au RMI rebaptisé « RSA socle », ne va pas avoir les effets escomptés. Nicolas Sarkozy et Martin Hirsch voulaient inciter les personnes les plus défavorisées à reprendre un emploi et ainsi gagner plus en cumulant revenus du travail et prestations sociales. Mais selon le rapport du CEE (centre d'études de l'emploi), la révolution sociale annoncée n’a pas eu lieu, notamment à cause de nombreux dysfonctionnements et va même être à l’origine pour certains d’un « régime de précarité assistée ».
Le statisticien Bernard Gomel et la sociologue Dominique Méda auteurs d’un rapport du CEE intitulé « Le RSA, innovation ou réforme technocratique ? », publié en novembre 2011, mettent en avant les « absurdités » du RSA. Tout d’abord, les effets de seuil que le RSA avait pour but d’éliminer sont toujours une réalité pour les allocataires. L'enquête montre que les bénéficiaires sont incités à travailler mais à très faible dose car « la reprise d'une activité d'un certain volume fait perdre, dans un premier moment, la couverture maladie universelle (CMU) complémentaire, la gratuité des transports et l'allocation de logement complémentaire de la ville de Paris ».
Mais le pire reste à venir, puisque 1,6 millions de pauvres renoncent à affronter les démarches pour toucher le RSA soit par découragement, soit par manque d’informations ou même par choix. En effet, selon le rapport de la CEE, plus d’un million de foyer, soit les deux tiers des ayant droit, vivant dans la précarité ne réclame pas le RSA. Cette situation est semblable pour les chômeurs en fin de droit. Près de 650 000, soit un tiers des chômeurs en fin de droit pourraient bénéficier du RSA complet mais ils ne font pas la demande et font une croix sur 249 euros par mois en moyenne. « On est loin du discours selon lequel les gens grappillent un maximum d’aides », ironise Nicole Maestracci, représentante des associations au sein du Comité national d’évaluation.
La principale raison de ce manque d’intérêt est claire : de nombreux bénéficiaires ne comprennent rien à son mode de calcul quand les différentes prestations s’entremêlent et se rajoutent les unes aux autres. Sur point, le CEE écrit : « Sur cette question, même unanimité : les allocataires (et parfois les travailleurs sociaux ou conseillers qui les accompagnent) ne maîtrisent en aucune manière les calculs censés leur permettre de reprendre le chemin de l’emploi. » Cette usine à gaz a une conséquence : le RSA a un coût de gestion supérieur au RMI. Par conséquent, les Caisses d’Allocations Familiales ont dû embaucher 1237 personnes supplémentaires pour le mettre en œuvre. Le rapport pointe également des concordances informatiques entre le département (qui verse le RSA) et Pôle Emploi hasardeuses, des délais de prise en compte de changement de dossier très long et un dédale administratif et bureaucratique qui « rend peu crédible l'idée de simplicité promue lors de sa mise en place ». Dominique Méda et Bernard Gomel estiment que le dispositif d'accompagnement des allocataires du RSA est totalement inadapté. Selon eux, « une partie importante de la population qui survit avec le RSA connaît de grandes difficultés, et des formes variées de détresse qui nécessitent, pour être adoucies, des traitements également diversifiés ».
Même si le RSA fait baisser la pauvreté, dans une proportion toutefois relative, il ne favorise pas l’accès à l’emploi alors que c’était une des principales finalités. Grâce au RSA, 150 000 personnes ont dépassé le seuil de pauvreté (954 euros par mois en 2009) mais si tous les ayant droit avaient bénéficié de cette aide, 400 000 personnes supplémentaires auraient franchi ce seuil. Or les chiffres sont loin d’être ceux annoncés par le gouvernement lors de la mise en place de cette mesure. En 2009, le but était que 7% des personnes considérées comme pauvres passent le seuil de pauvreté. Trois ans plus tard, seul 2% ont accédé à un niveau de vie décent. Mais rappelons que le « RSA socle » qui équivaut à 470 euros par mois pour un célibataire est nettement inférieur au seuil de pauvreté qui ne peut donc être franchi que pas l’accès à un travail. Voilà le problème : le RSA ne facilite pas l’obtention d’un emploi. Il faut dire que l’accompagnement des allocataires n’a pas été mis en place. Pôle Emploi n’a disposé ni des moyens ni des savoir-faire nécessaires. Avec un accompagnement adapté et dynamique, les choses auraient peut-être pris meilleure tournure même si la crise économique n’aidait pas beaucoup.
Pour certains économistes ou sociologues, le bilan du RSA est désastreux. « Avec le RSA, on entre dans un régime différent : il sera désormais possible de cumuler de façon régulière et indéterminée un revenu d’assistance et un revenu du travail faiblement rémunéré. Entre le salarié et le bénéficiaire de l’aide sociale, il existera un statut social intermédiaire, celui de travailleur précaire assisté » annonce Serge Paugam, directeur d’études à l’EHESS. Il faut par conséquent craindre le fait que le RSA participe à un mode généralisé de mise au travail des plus pauvres dans les secteurs les plus dégradés du marché de l’emploi. « Il faut redouter l’institutionnalisation par les pouvoir public d’un sous-salariat déguisé » assure Serge Paugam. Les pauvres n’auront que des emplois de seconde zone, ce qui les amène non pas dans le salariat mais dans le « précariat ». Les salariés seront désormais divisés : à côté des salariés protégés par leur régime de cotisations sociales, se trouveront des salariés assistés par la solidarité nationale.
Les belles paroles de Martin Hirsch, instigateur du RSA n’ont malheureusement eu que très peu de répercussions sur la qualité de vie des personnes démunies.