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Charlie Hebdo embastillé pour notre liberté

Publié le  Par Patrick Béguier

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Un sondage Ifop publié par "Marianne" révèle que les anti-Charlie sont de plus en plus nombreux. Amère récompense pour cet hebdomadaire satirique qui a dû s'embastiller pour défendre notre liberté d'expression !

        Certes, selon ce sondage, 61%  des personnes interrogées sont toujours prêtes à lancer des "Je suis Charlie" dans la rue, mais elles étaient 71%  en janvier 2016, soit dix points de moins en un an, et beaucoup des commentaires recueillis sur l'autre bord peuvent inquiéter, s'agissant d'un hebdomadaire satirique : "Charlie va trop loin"… "La liberté de caricaturer les religions doit s'arrêter au blasphème"… "Charlie Hebdo est un journal islamophobe", etc. Au regard de cette lente désaffection des Français, les rédacteurs, les caricaturistes et les membres du personnel qui vivent depuis trois ans "dans une boîte de conserve" pour éditer ce journal "nécessairement trash, bête et méchant" vont finir par croire que le jeu n'en vaut pas la chandelle !   La peur !   Oui, il faut regarder de près les conditions dans lesquelles les "Charlie" sont obligés de travailler. Prenons en main le numéro "anniversaire" du 3 janvier. Plusieurs commentateurs se sont focalisés sur l'édito de Riss. Il faut, en effet, le lire. "Plus d'un exemplaire sur deux vendus finance la sécurité des locaux et des journalistes", observe-t-il, avant de s'interroger : "Quel autre média en France doit investir autant d'argent pour lui permettre d'user de cette liberté fondamentale qu'est la liberté d'expression ? Cette liberté, vitale et indissociable de notre démocratie, est en train de devenir un produit de luxe…" Ne nous arrêtons pas là ! Dans les pages de l'hebdomadaire on découvre le "monde nouveau, fait de policiers en armes, de sas et de portes blindées, de trouille, de mort" où vivent, "en plein Paris", les collaborateurs de Charlie. La peur ! Elle tourne sans arrêt dans les têtes. "J'ai peur sur le trottoir, j'ai peur quand je vois des policiers, quand je suis à l'intérieur, peur quand j'entends, à la table de la rédaction, des bruits que je n'identifie pas. J'ai peur de la panic room (la pièce de sécurité où se réfugier en cas d'extrême urgence), car je suis claustrophobe. J'ai peur, car je suis persuadée de réentendre un jour le cliquetis des kalachs", confie une "Charlie".   "On rira encore"   Quel journaliste tiendrait le coup, physiquement, psychologiquement, dans un tel contexte ? Quel citoyen s'accommoderait d'une vie professionnelle et privée de cette nature ? En lisant les divers articles du numéro 1328, on s'aperçoit que même les flics ont peur ! Fabrice Nicolino a cette superbe conclusion : "Quant à vous, chers lecteurs d'hier, d'aujourd'hui et de demain, sachez ce que vous n'avez jamais ignoré : nous avons un besoin proprement vital de votre présence, de votre soutien, de votre vigilance, de vos cris et protestations, même quand ils nous visent. On rira, on rira encore, mais il faudra nous aider."   Ce qui ne les aide pas, en revanche, c'est la logorrhée mortifère des réseaux sociaux ! Derrière l'anonymat du clavier et du pseudonyme, toutes sortes d'insultes, de réactions haineuses, d'appels à la vengeance, passent les murs de la forteresse. L'objectif évident de ces tweets et de "la machine à buzz" est d'accroître le sentiment de peur et, par là même, de castrer les rédacteurs, de casser les crayons des dessinateurs, d'affoler le personnel qui les accompagne, la famille et les amis qui les entourent. Soyons clair : une entreprise de démolition est en cours ! Mais cette bastille, il faut la défendre coûte que coûte. Si elle est prise, si elle s'effondre, ses murs tomberont sur notre liberté.    Patrick Béguier est journaliste et écrivain. Il est le responsable éditorial de Paris Dépêches.