Futur Palais de justice de Paris : recours contre le partenariat entre l’Etat et Bouygues
Publié le Par Raphaël Didio
Le Conseil d’Etat s’est vu demandé par les avocats de l’association « La justice dans la cité » l’annulation du contrat qui lie l’Etat au groupe Bouygues concernant la construction du futur Palais de justice de Paris.
C’est un projet qui prend une nouvelle fois du plomb dans l’aile. Mediapart affirme que l’association « La justice dans la cité » a décidé lundi soir lors de son conseil d’administration de déposer un recours au Conseil d’Etat à l’encontre du partenariat public-privé (PPP) qui lie l’Etat au groupe Bouygues qui doit construire le futur Palais de justice de Paris. Les motifsqui ont poussé l’association à déposer ce recours sont simples : la renégociation de ce marché très coûteux, comme l’explique l’avocat Cyril Bourayine, président de l’association : « Si le contrat était annulé, l’État aurait une chance de renégocier le contrat à des coûts inférieurs, peut-être dans le cadre d’un marché public ».
Cela permettrait notamment de revisiter des aspects architecturaux du projet, critiqués par le barreau de Paris. Me Bourayne affirme avoir reçu le soutien de Robert Badinter, ancien sénateur PS des Hauts-de-Seine. Le recours sera déposé par l’avocat Didier Le Prado au Conseil d’Etat dans les jours à venir. Après plus de huit mois d’inactivité dus à des recours antérieurs des mêmes avocats opposés au projet, voilà que les travaux de l’immense chantier du futur Palais de justice de Paris dans la ZAC Clichy-Batignolles ont repris depuis deux mois. Le 3 avril, la cour administrative d’appel de Paris avait rejeté le dernier recours de l’association, qui soulevait la nullité du PPP passé entre l’Etat et le consortium d’entreprises mené par Bouygues.
Une facture estimée à 2,4 milliards d'euros
L’avocat Cyril Bourayne s’en est d’ailleurs étonné. « Curieusement, les travaux ont repris quelques jours avant que la décision soit rendue ». Bouygues connaissait-il la bonne nouvelle ? Rien n’est moins sûr, mais un porte-parole du groupe a assuré que « Le chantier était arrêté mais sous surveillance, il n’a jamais été déserté ». Une nouvelle qui a enchanté Bouygues Construction, se félicitant de « la reprise de ce grand projet dessiné par Renzo Piano, qui générera 9,5 millions d’heures de travail ».
Le directeur général de l’Etablissement public du Palais de justice de Paris (EPPJP), Jean-Pierre Weiss, s’est également montré enchanté de la nouvelle, évoquant également des économies réalisées à l’Etat de l’ordre de 300 à 500 millions d’euros : « Dans le contrat passé entre l’EPPJP et Arélia (NDRL : la société de projet regroupant Bouygues et plusieurs banques), il était prévu à un moment donné une opération dite de cristallisation, qui consiste à passer, pour les loyers, de taux d’intérêts variables à des taux fixes plus avantageux », a-t-il expliqué à Mediapart. La facture du chantier est ainsi estimée à 2,4 milliards d’euros au lieu des 2,7 à 2,9 milliards projetés avec les taux variables. Cela ne devait alors retarder la mise en service du futur tribunal seulement de dix à huit mois, dont la livraison était attendue le 30 juin 2017.
Le coût du projet sous-estimé
Les PPP sont en règle générale très coûteux pour l’Etat et les collectivités à long terme, qui s’endettent pour réaliser de grands travaux. Concernant ce projet de PPP, il a été signé à la va-vite le 15 février 2012, soit peu de temps avant l’élection présidentielle, et le coût du projet avait été largement sous-estimé par le ministre de la justice de l’époque, Michel Mercier. « L’investissement est important, puisqu’il se chiffre à 575 millions d’euros », avait-il déclaré dans son discours ce jour-là.
Quelle ne fut pas la surprise alors de Christiane Taubira, l'actuelle garde des Sceaux, lors de sa découverte des clauses du contrat qu’elle juge ruineux. Elle réfléchit alors a annulé ce PPP, car le coût du projet pour l’Etat n’est pas de 575 millions mais bien de 2,4 milliards d’euros, si l’on tient compte des loyers à verser. « Les contrats signés prévoient le règlement d’un loyer monstrueux d’environ 90 millions d’euros annuels à partir de 2017, et cela pendant 27 ans. On arriverait alors à un coût total de l’opération tout à fait exorbitant pour l’État, de l’ordre de 2,4 milliards d’euros », précisait un conseiller de la ministre à Mediapart à l’été 2012. « Raison pour laquelle nous souhaitons une rupture contractuelle du PPP pour motifs d’intérêt général. »
Indemnisation en cas d'annulation du contrat
Reste qu’une rupture des contrats réside dans l’existence des clauses d’indemnisation. Un accord « autonome » de 19 pages en parallèle au PPP a ainsi été signé ce fameux 15 février entre l’Etat, le consortium de banques et le groupes Bouygues Cela prévoit une indemnisation importante du consortium en cas d’annulation du contrat. Le montant de l’indemnité est quant à lui resté secret mais les sources évoquent des sommes entre 200 et 400 millions d’euros. Christiane Taubira avait ainsi ardemment souhaité la fin de ce PPP devant les députés à l’Assemblée Nationale le 31 octobre 2012 : « Au terme de ce contrat de 27 ans, en 2043, l’État aura payé 2 milliards 700 millions d’euros ». « Comme démonstration de bonne gestion, je crois qu’on peut faire mieux », a conclu la ministre de la Justice.