Populisme et simplisme
Publié le Par Patrick Béguier
La montée des populismes dans le monde fait l'objet de nombreuses explications. Il en est une pourtant qui n'a pas encore acquis le crédit qu'elle mérite.
On voit le populisme gangrener l'Europe (Hongrie, Autriche, Slovaquie, République tchèque, Italie…) et le continent américain (États-Unis, Brésil…). Sans parler du Brexit qui est, lui aussi, un enfant bâtard du populisme.
Les commentateurs expliquent ce phénomène par l'incapacité des élites politiques à résoudre les problèmes des classes populaires, par les effets néfastes de la mondialisation des économies avec les peurs qu'elle entraîne, par la dérive du capitalisme vers la pure spéculation financière, par l'émergence d'idéologies se rattachant à l'extrême droite, par l'irruption d'une multitude d'émigrés politiques, économiques, climatiques… Sans doute la liste reste-t-elle incomplète.
Mais on peut légitimement se demander s'il n'y a pas une source commune à tous ces populismes : le simplisme.
Équations complexes
Il consiste à vouloir résoudre des équations complexes par des solutions simples, facilement intelligibles, rapidement applicables. Les exemples ne manquent pas. En voici trois :
- L'industrie américaine souffre de la concurrence mondiale ? On la protège en dénonçant des accords internationaux, en élevant brutalement les barrières douanières, en déclarant une guerre froide avec la Chine, en jetant aux orties l'Accord de Paris sur le climat, etc.
- Des émigrés venant du Moyen-Orient et d'Afrique débarquent en Europe et menacent l'identité du Vieux Continent, son confort de vie, son marché de l'emploi ? On érige murs et barbelés pour stopper les flux migratoires.
- Les "gilets jaunes" exigent de plus hauts revenus ? On diminue les impôts, on supprime des taxes et surtout, on fait payer les riches et on supprime les "cadeaux" aux entreprises.
Des solutions radicales, simples à comprendre et qui donnent aux populations qui se sentent menacées l'impression que le problème va être vite résolu.
Une illusion ! Il n'y a pas de solutions simples à des problèmes complexes, mais uniquement des solutions complexes, moins lisibles, moins immédiates, à des problèmes complexes.
Reprenons :
- L'industrie américaine s'imagine pouvoir souffler ! Mais les nouvelles technologies, la robotisation de la production, l'intelligence artificielle, seront les plus fortes. Elles ne connaissent pas les frontières. Donald Trump vient de s'en apercevoir : General Motors a annoncé en novembre qu'il supprimerait des milliers d'emplois en arrêtant la production sur sept sites, dont quatre aux États-Unis. Le président américain est fou de rage. Mais là-bas, comme ailleurs, la solution n'est pas dans la protection. Quant à la volonté de poursuivre l'extraction du charbon, ce n'est même plus du populisme, c'est une farce !
- Rien n'arrêtera l'émigration, quelle qu'en soit la cause ! Les murs de Donald Trump ou de Viktor Orban n'empêcheront pas les populations qui souffrent de chercher un ailleurs qui soit meilleur. Elles grossiront forcément en raison du réchauffement climatique, du nombre croissant de régimes politiques dictatoriaux et, tout simplement, d'une démographie incontrôlée, voire galopante. Pense-t-on sérieusement, par exemple, que les Africains dont le continent sera bientôt le plus peuplé du monde, resteront le cul sur leurs terres arides en attendant que quelques ONG viennent leur creuser des puits ? La guerre des mondes est à nos portes et les populistes veulent nous faire croire qu'on peut la rayer de la carte d'un simple trait de barbelé ?
- Les "gilets jaunes" réclament plus de justice fiscale et davantage de pouvoir d'achat. A priori, on est tenté de leur donner raison. Le problème, c'est qu'ils manquent totalement de distance, pris comme ils le sont dans l'émotion (au sens premier de révolte, de jacquerie) et qu'ils oublient ou plutôt veulent oublier toutes les données macro-économiques. Or, précise l'OFCE, dans son récent document France, portrait social, "les ménages les plus aisés ont été les plus mis à contribution ; les ménages les plus modestes ont bénéficié de la politique sociale et des amortisseurs sociaux". La France, où le total des prélèvements obligatoires a atteint en 2017 un sommet - 45,3 % du PIB - peut-elle se permettre d'augmenter tout un chacun, employé, ouvrier, fonctionnaire, retraité, au détriment des entreprises, de l'emploi, des équilibres budgétaires ? Qu'importe, disent les populistes du Rassemblement National et de la France Insoumise qui, s'ils arrivaient au pouvoir, seraient les premiers à trahir leurs promesses égalitaires face aux dures réalités de l'économie et de la finance !
Tout, tout de suite !
Qu'il est difficile pour les gouvernants attachés à la vie démocratique, sans arrêt à la recherche de solutions qui n'aient pas d'effets pervers ou boomerang, soucieux de tracer les lignes d'un avenir durable pour les générations futures, de proposer, d'argumenter, de convaincre, face à des populations agrippées à leurs préoccupations immédiates, atteintes de "la voracité consumériste" si justement dénoncée par le Pape et, pire, jalouses de ce que possèdent les autres, les riches, les patrons, les élites, les politiques… !
Qu'il est difficile de réformer un pays en visant le moyen et long terme quand tout n'est qu'impatience, monnaie sur le comptoir, emploi tout de suite !
C'est l'ère des "y'a qu'à" et des "faut qu'on". Des formules simplistes ficelées sur un grand carton.
La panoplie des populistes.
Patrick Béguier
Journaliste et écrivain