Attentats : Daech risque un effet boomerang
Publié le Par Patrick Béguier
L'État islamique peut, hélas, se réjouir des massacres perpétrés à Paris et des résultats obtenus avec les attentats commis ces dernières semaines en Égypte et au Liban. Mais ses succès tactiques pourraient cacher une erreur stratégique. Daech va-t-il connaître un effet boomerang ?
Les victimes des attentats de Paris étaient de toutes couleurs de peau, de toutes origines, de toutes confessions, de toutes catégories socioprofessionnelles. Aucun parallèle possible avec les tragiques événements de janvier, où les journalistes et caricaturistes de Charlie Hebdo étaient les cibles désignées, avant qu'un Hyper Cacher et des juifs ne soient visés à leur tour. Certes, les morts et les blessés sont plus particulièrement des jeunes et des personnes aimant la vie nocturne ou fans de musique. Mais cela ne permet pas une analyse discriminante. Dans Le Monde, Hanan Ben Rhouma, rédactrice en chef du site d'information musulman Saphir News, a bien résumé la situation : "Tout le monde se retrouve dans cette tragédie. Daech aura cette fois beaucoup de mal à diviser les Français". Quant aux victimes, impossible, bien sûr, de les accuser d'avoir insulté la religion musulmane. Les terroristes peuvent simplement cracher sur leur mode de vie au nom d'un Islam rigoriste. C'est un peu court ! Il n'y a pas de solide levier confessionnel sur lequel ils peuvent brutalement appuyer.
Autrement dit, puisque leur objectif est de plonger la France dans la guerre civile, ils nous ont fait un (sale) coup pour rien. Au contraire, les Français, mis à part quelques actes anti-musulmans, se réunissent, mieux encore qu'en janvier, dans une totale condamnation des actes commis, dans une profonde affliction, dans une solidarité sans faille. Un peu partout dans le monde, les trois couleurs de notre drapeau sont apparues sur des monuments réputés symboliques. La France, nous rappelle-t-on ainsi, porte toujours le flambeau des Droits de l'Homme et les Anglais chantent la Marseillaise…
Bientôt, un Yalta ?
Bien sûr, les commandos de l'État islamique savaient qu'après de tels massacres, ils seraient impitoyablement pourchassés. Bien sûr, ils savaient qu'en répandant une terreur multiforme, ils avaient toutes les chances d'entretenir un sentiment de peur dans la population. Mais la peur se surmonte, on apprend à vivre avec. Parce que la vie continue. Parce que beaucoup veulent la défier afin de l'exorciser. Les parcours psychologiques des uns et des autres sont moins faciles à programmer que les raids meurtriers dans les rues.
Ce que nos ennemis ont peut-être moins bien analysé, ce sont les conséquences au plan international de leurs actions militaires extérieures. Car, comme nous l'avons dit, nous sommes bien dans une troisième guerre mondiale et il est temps de mettre le mot juste sur la réalité vécue ! N'est-ce pas Madame Merkel ! ?
On pouvait craindre de dangereux télescopages entre les forces armées des deux coalitions présentes au Moyen-Orient depuis quelques semaines : Moscou-Damas-Téhéran d'un côté, Washington-Riyad-Paris-Londres (sans oublier le Canada, l'Australie…) de l'autre, ce qui aurait eu pour effet de laisser l'EI tisser plus facilement sa toile. Mais l'explosion en vol de l'avion russe en Égypte, qui a fait 224 morts le 31 octobre, a fait réfléchir Vladimir Poutine. Il a compris qu'il ne pouvait pas se dresser seul au-dessus de cette effroyable mêlée et que la protection de l'actuel président syrien face au Front populaire pour le changement et la libération était peut-être une question subsidiaire. De la même façon, François Hollande a compris qu'il devait mettre en sourdine son refus de voir Assad autrement que comme un monstre trônant sur les cadavres de son propre peuple. Lors du Congrès lundi, à Versailles, s'il a clairement indiqué que la France intensifierait ses opérations en Syrie, il a appelé de ses vœux "une grande et unique coalition". Et Poutine a saisi la main tendue en n'oubliant pas de dire aux Russes que c'était le président français qui tournait casaque. On a les victoires diplomatiques que l'on peut... Toujours est-il que, presque immédiatement, s'est mise en place une coordination militaire. Or, l'on sait, par ailleurs, que les présidents russe et américain se sont rencontrés lors du G20, les 15 et 16 novembre, en Turquie.
Bientôt, un Yalta Obama-Poutine-Hollande-? pour mettre Daech à terre et tuer dans l'œuf cette nouvelle guerre mondiale ?
L'État islamique n'a sans doute pas mesuré toutes les conséquences de son changement de stratégie alors qu'il commence à subir de sérieux revers sur son propre terrain : Sinjar vient d'être libérée par les Kurdes. Un axe de circulation essentiel pour les djihadistes est donc déjà coupé.
Patrick Béguier est journaliste et écrivain.