Loi pénale : Valls a, avant tout, court-circuité Ayrault
Publié le Par Gaspar S.
En s'adressant directement à François Hollande pour s'en remettre à son arbitrage sur le projet de loi de Christiane Taubira sur les prisons, Manuel Valls a snobé Jean-Marc Ayrault.
Jean-Marc Ayrault a récemment enfilé sa tenue de casque bleu pour apaiser le débat entre Manuel Valls et Christiane Taubira. Problème, personne ne lui a demandé d'intervenir. Pas le ministre de l'Intérieur en tout cas qui, en s'adressant directement, fin juillet, à François Hollande dans une lettre révélée par Le Monde, a fait cavalier seul. Le ministre le plus populaire du gouvernement s'est mis en ligne directe avec l'Elysée. Il a aussi fait naître une polémique dont la majorité se serait peut-être passée mais il est aussi vrai que le projet de loi pénale de la chef d'orchestre du texte sur le mariage gay rendrait un peu plus vain le zèle d'un quelconque ministre de l'Intérieur en matière de sécurité.
Valls vient, par ailleurs, d'assurer vouloir «continuer à travailler avec Christiane Taubira, main dans la main». Ce qui prouve que l'escarmouche épistolaire de juillet n'était finalement fondée que sur peu de considérations liées à la sécurité des Français. En fait, Valls a tenté de faire coup double : en se montrant, à juste titre semble-t-il, mal-à-l'aise devant le projet de réforme pénale présenté par le ministère de la Justice, il ajuste un peu plus sa casquette de «premier flic de France».
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On sait à quel poste ce statut, souvent apprécié, peut mener : le précédent président s'était allègrement servi du trampoline de la place Beauvau pour parvenir à ses fins. Manuel Valls, dans sa missive, suggère ainsi une augmentation des places de prison : «Nous ne pouvons totalement ignorer la question du dimensionnement du parc immobilier pénitentiaire.» Le ministre appelle aussi à «une exigence accrue (…) de fermeté de la loi pénale» – répondant ainsi aux appels de nombreux syndicats de police. Ce discours, a priori attendu par nos compatriotes, positionne le ministre de l'Intérieur en adéquation avec l'électorat après un été de communication politique déjà bien dense.
Puisque Manuel Valls ne démissionnera pas – et que Christiane Taubira non plus – le jeu – bien ordonné – de la fausse fermeté va se poursuivre jusqu'à la fin du quinquennat. Une comédie déjà jouée par Nicolas Sarkozy de 2005 à 2007.
Par ailleurs, la lettre polémique rédigée par Manuel Valls n'a pas été adressée à Jean-Marc Ayrault mais bien à François Hollande – même si Valls assure aujourd'hui qu'une copie a été envoyée à Matignon. Disons-le tout de go. Ce n'est pas la première fois que Matignon est ainsi snobé par les membres du gouvernement. À l'été 2012, déjà, à l'université de La Rochelle, les ministres se vantaient d'être en ligne directe avec la présidence de la République. Plus cruels encore, des députés voyaient en Ayrault – et en off – un «capitaine sans longue vue», un homme «mou», «sans autorité». Un an plus tard, les choses n'ont pas changé. Depuis même, Arnaud Montebourg a aussi fait dans l'incartade – à laquelle il a eu l'élégance de se livrer en interne.
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Ce mercredi, Ayrault a voulu proposer son «arbitrage», évoquant un «processus normal» de discussion sur la loi pénale et expliquant qu'au gouvernement «il n'y pas deux lignes, il n'y en a qu'une». Mais qui la représente ? Matignon ? Ce n'est visiblement pas le sentiment de certains ministres qui, en se hissant aux oreilles de François Hollande pour solliciter son jugement, se construisent une stature et nient jusqu'à la pertinence de la nomination de Jean-Marc Ayrault comme chef du gouvernement ou de l'existence même d'un Premier ministre depuis l'adoption – néfaste – du quinquennat.