La liberté de la presse malmenée par la campagne présidentielle.
Publié le Par Jennifer Declémy
La campagne présidentielle, dont le niveau n'aura pas été très haut, révèle en outre des tensions entre le monde politique et la presse qui n'ont rien de rassurant.
Les récentes agressions qu’ont subi beaucoup de journalistes lors de meetings du candidat Nicolas Sarkozy ont révélé une hostilité croissante de l’opinion envers cette profession, hostilité cultivée et nourrie par les déclarations mêmes de certains responsables politiques, dont plusieurs candidats à la présidentielle.
Si Nicolas Sarkozy est un des plus virulents envers ce corps de métier qui ne l’encense plus autant qu’en 2007, deux autres candidats avant lui ont tracé la route. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont tous deux déversé à de multiples reprises leurs mécontentements face à la presse, dans des termes souvent violents.
On se souvient des clashs qui ont opposé Marine Le Pen à deux journalistes de Canal+, Anne-Sophie Lapix et Caroline Roux, mais aussi des échanges houleux avec ceux de FranceInter, Patrick Cohen et Pascale Clark entre autres. Si les désaccords avaient porté sur des problèmes politiques durant les interviews, la candidate de l’extrême-droite n’a pas manqué d’attaquer ces journalistes sur des bases purement personnelles en dehors de ces interventions médiatiques, remettant même en cause leur intégrité et leur sens de la déontologie.
« Est-ce que les français savent qu’elle [Caroline Roux] est en couple avec l’ancien chef de cabinet de Nicolas Sarkozy ? » a accusé la leader frontiste après un vif échange sur le plateau de Canal+, tandis que de la journaliste Anne-Sophie Lapix en a également pris pour son grade. « Anne-Sophie Lapix me fait. Son boulot n’est pas de me haïr ni de me combattre, ni de m’interroger, elle n’est pas juge d’instruction. La réalité c’est qu’elle est mariée avec le patron de Publicis et qu’elle partage donc, disons par mariage, d’un système qui me combattra jusqu’au dernier moment parce que je le combats ». Le raisonnement est donc que poser des questions trop gênantes ne relève pas du boulot d’un journaliste. On appréciera cette conception de la liberté de la presse.
Même problème du côté de Jean-Luc Mélenchon qui s’était déjà rendu célèbre en 2009-2010 pour avoir attaqué des journalistes, notamment David Pujadas qu’il avait insulté en public. Si durant sa campagne il était resté modérément calme, cela a dérapé vers la fin, quand une couverture du Nouvel Obs et des éditos réguliers de Christophe Barbier ne lui ont pas plus. Les réactions se sont alors déchainées du côté du Front de Gauche.
« Persiflage et calomnies » s’est indigné le député européen en parlant du Nouvel Obs, dont il se dit « choqué et révulsé par la charge » et qu’il accuse d’être à la solde de François Hollande, tout comme Libé. « Cette volonté de nuire plutôt que d’aider à convaincre contre la droite et l’extrême-droite est un calcul politique et un grossier rabattage en faveur de François Hollande » a-t-il dénoncé. Ces attaques faisaient notamment suite à des journalistes qui montraient des photos de lui avec Bachir Al-assad, en 2001, quand le gouvernement français dont il faisait partie, le recevait, ou en révélant qu’il a assisté à la cérémonie de remise de légion d’honneur de l’extrémiste Patrick Buisson. Cette semaine encore, les journalistes du petit journal, avec qui Jean-Luc Mélenchon entretient des relations exécrables, se sont vus traités de « fachos » à la solde de Marine Le Pen. On ignore si dans ce cas de figure, il s’agit d’une idée selon laquelle la presse fait partie du système et se serait ligué contre lui, ou si c’est un calcul politique destiné à plaire à ce peuple dont on aime à dire qu’il n’aime pas les journalistes.
Mais maintenant que ces candidats ne sont plus sur le devant de la scène, c’est Nicolas Sarkozy qui multiplie et accentue les attaques envers la presse, jusqu’à survolter ses militants qui agressent désormais régulièrement les journalistes présents lors des meetings. Tout cela a commencé dès le début de sa campagne présidentielle, lorsque le président sortant a voulu se positionner en tant que « candidat du peuple ». Or, le peuple, dans la définition grossière que lui accorde Nicolas Sarkozy, n’aime pas la presse et les journalistes et n’accepte pas que des journalistes puissent exprimer un avis critique du pouvoir en place.
Attaque de Valérie Trierweiler qui travaille pour son grand ami Vincent Bolloré, attaque contre ces commentateurs et ces journalistes qui président déjà sa défaite, dénonciation de Mediapart qui ne serait qu’une « officine », refus de participer à des interviews proposés par des journaux considérés à gauche et déclarations virulentes contre la presse ont achevé d’installer dans le débat politique une atmosphère nauséabonde à l’encontre des journalistes accusés de tous les maux.
« Il se trouve qu’à Paris, le petit monde des commentateurs a décidé que l’élection était déjà jouée. A Paris on se laisse intoxiquer par les sondages (…) Nicolas Sarkozy sera réélu par cette immense majorité silencieuse qui n’en peut plus de l’impunité médiatique qui protège le candidat socialiste depuis six mois » avait déclaré le 11 mars dernier à Villepinte Jean-François Copé. Son candidat quant à lui aime à fustiger « ces intellectuels qui se regardent dans un petit miroir (…) Laissez-les mentir, se parler entre eux, nous avons autre chose à faire, cet autre chose c’est le peuple de France ». Peuple dont ne ferait pas partie les journalistes donc.
« La campagne du premier tour, nous l’avons faite contre la caricature, contre le mensonge, aucun président n’avait jamais subi un tel matraquage. De fait, ils n’ont reculé devant rien, ils n’ont hésité devant aucun mauvais coup, devant aucune manipulation. (...) On nous a dit égalité, mais où est l’égalité quand il n’y a pas d’impartialité ? Parfois, je regardais d’autres candidats, invités dans les mêmes émissions, je me demandais étaient-ce les mêmes émissions, étaient-ce les mêmes personnes qui interviewaient ? Je veux dire qu’ils étaient tellement plus aimables qu'avec moi ! Et que personne ne le prenne en mauvaise part, je le dis avec le sourire, mais je le dis quand même, quand ce manque d’impartialité est le plus grand sur les chaînes financées par l’argent du contribuable, je voudrais rappeler qu’il y a des contribuables qui ne sont pas de gauche, qui ne sont pas d’extrême gauche et qui ont le droit d’être respectés dans leurs idées, dans leurs valeurs et pour leur candidat. (...) Les Français sont allés voter à plus de 80 %, c’est sans doute qu’il y a un civisme chez les Français qu’il n’y a pas chez les observateurs des Français » déclarait également récemment Nicolas Sarkozy, dans ce qui peut être considéré comme ce qui est sa plus violente charge contre la presse.
Le problème est qu’aujourd’hui ce genre de déclaration ne fait qu’attiser les tensions de militants confrontés à la nette perspective de voir leur candidat perdre. D’où un déchainement de colère dont la presse fait les frais, sans que cela soit justifié en aucune façon.
Y a-t-il des journalistes et des journaux de gauche ? Oui bien sûr mais la réciproque est vraie à droite. Eric Zemmour, Eric Brunet, Jean-Pierre Elkabach, le Figaro, Valeurs Actuelles, Atlantico, Guillaume Roquette, François d’Orcival, Etienne Mougeotte et j’en passe, tous ont fidèlement pris parti pour Nicolas Sarkozy, certains ont même écrit des livres sur lui (Eric Brunet), et tous ces journalistes sont très présents sur les plateaux télé. Ils font partie de ces « commentateurs » qui analysent et décryptent la vie politique française. Pourtant, certains sont très proches de Nicolas Sarkozy....
Vilipender la presse de la sorte a quelque chose non seulement de stupide, mais aussi d’inquiétant. Des journalistes agressés lors de la journée mondiale de la presse, c’est une preuve par mille que notre mauvais classement à Reporters sans frontières est plus que pertinent. Traiter un site d’information « d’officine » c’est lui nier sa légitimité démocratique, c’est nier le principe de liberté et d’indépendance de la presse par rapport au pouvoir en place et c’est nier son utilité même, son rôle de quatrième pouvoir. Se souvient-on que ce sont des journalistes qui ont dévoilé le scandale du Watergate ? Bettencourt ? Karachi ? Rainbow Warrior ? Les écoutes téléphoniques en Grande-Bretagne ? Les exemples sont nombreux pour prouver l’utilité démocratique de la presse, dont le quinquennat qui s’achève aura marqué une incroyable régression.