Affaires +++ : gare à la terreur de la Vertu !

Après le long roman de l'affaire Fillon et le recueil de nouvelles sur le Front national pendant la campagne présidentielle, un grand récit nous est proposé pour la campagne des législatives : le 24 mai, Le Canard enchaîné a fait des révélations sur Richard Ferrand ; le journal satirique en a fait d'autres le 31 mai ; Le Monde a réécrit le scénario et ce jeudi, on apprend que le ministre de la Cohésion des territoires est finalement l'objet d'une enquête préliminaire. Le "cas" devient une "affaire". Gageons que, pendant plusieurs jours, on ne pourra pas ouvrir un poste de radio, regarder un écran de télé ou prendre en main un journal avec l'espoir d'échapper au rappel des faits, aux commentaires des éditorialistes, aux analyses des experts, aux déclarations vertueuses ou revanchardes des opposants au "macronisme". Le feuilleton est de plus en plus passionnant : va-t-on apprendre, dans le prochain épisode, que Richard Ferrand démissionne ? Et après, que va-t-il se passer ? Que va proposer François Bayrou dans sa loi de moralisation de la vie politique ? Est-il encore crédible, lui qui se trouve quelque peu déstabilisé par l'affaire (encore une !) Marielle de Sarnez, son égérie devenue ministre des Affaires européennes (les bonnes, celles-là !) du gouvernement d'Édouard Philippe ?…   Guillotine   Gardons-nous de juger tel ou tel. Que la justice française fasse son travail ! Ce sont deux autres phénomènes qui doivent nous inquiéter. Le premier, on l'a sans doute déjà compris, c'est cette succession ininterrompue d'affaires qui prive les citoyens d'une appréciation sereine des programmes électoraux à un moment crucial pour la France. Tout le monde s'en était plaint lors de la campagne présidentielle et voilà qu'on remet le couvert ! Les Français sont projetés dans l'émotion-réaction, soumis à un suspense médiatico-politique qu'alimentent la concurrence des organes d'information et la crispation, voire la hargne, des partis traditionnels, alors qu'ils devraient pouvoir alimenter leurs réflexions à partir des propositions des candidats et des analyses de fond de la presse.   Le second phénomène, c'est l'obsession de la vertu qui semble se faire jour dans notre société par rapport au personnel politique. La critique "tous pourris" tente de se transformer en exigence "tous vertueux". Bien sûr, les citoyens, excédés par toutes sortes d'abus et de passe-droits, veulent qu'on redresse vite la barre. C'est compréhensible et nécessaire. Mais il ne faut se faire aucune illusion : l'homo politicus parfait n'existe pas. Un homme reste un homme, avec ses faiblesses. D'autre part, une telle volonté de moralisation peut s'avérer à terme improductive : gouverner, proposer des lois, exercer utilement un contrôle, exige des compétences, de l'expérience. Il ne suffit pas d'être moralement transparent. Enfin, il convient de distinguer le public du privé. C'est toute la différence entre ce qui est reproché à François Fillon (argent public) et ce qui vaut aujourd'hui à Richard Ferrand de se retrouver sur le grill (affaires essentiellement privées). Au-delà, il faut distinguer le droit de la morale. Si la morale déborde le droit en s'accolant à l'idéologie, les pires aventures et désastres politiques sont possibles. L'histoire de France, l'histoire du monde, nous l'ont enseigné.  Pas de Terreur de la Vertu ! Plus jamais la guillotine en place de Grève !   Patrick Béguier est journaliste et écrivain. Son dernier roman :
Le chat noir du rédac chef (Ella éditions)