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Régionales : Dans mon village aussi on a... le FN !

Publié le  Par Patrick Béguier

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C'est un village d'une centaine d'habitants dans le sud Deux-Sèvres. Pas très loin de Melle, l'ancien fief électoral de Ségolène Royal. Ici, historiquement, c'est une terre rad-soc. Les socialistes y ont la part belle quels que soient les enjeux des scrutins. Et puis...

      Dans la petite salle des fêtes derrière la mairie, le repas organisé au profit du Téléthon 2015 vient tout juste de se terminer. Dans les blagues un peu lourdes et après quelques pas de danse cadencés par une sono trop forte. Peu importe. Le menu était de qualité (velouté d'automne, terrine de thon, porc au curry, tarte normande…), les visages traduisaient le sentiment commun de faire une bonne action tout en prenant un peu de bon temps, les bénévoles qui assuraient le service étaient aux petits soins avec les personnes âgées et pardonnaient tout aux enfants. Esprit républicain, tu es bien là !   L'autre danse !   17h55 ! L'heure de clôture du vote approche. Seule une douzaine de citoyens font les quelques mètres qui les séparent de la mairie. Les autres s'occupent de débarrasser et de laver la vaisselle. On ne peut pas être partout. Une grand-mère arrive sur son fauteuil roulant. Il était temps. On sourit. Dans l'isoloir, elle ronchonne : "C'est compliqué de plier un bulletin en huit pour le glisser dans une petite enveloppe. On n'a pas idée…". On sourit encore. "Ah, je l'ai déchiré !" s'exclame la vieille dame. "C'est pas grave !" assure Madame le maire, tout en préparant les documents qui devront être remplis et signés après le décompte des voix. 18h ! Les bulletins se déversent sur la table. Il y a 44 votants sur 75 inscrits. Pas mal quand on connaît les estimations de participation au niveau national. Un adjoint fait les paquets de 10 et Madame le maire commence à donner les noms à voix haute. Alain Rousset, qui défend les couleurs du PS et du PRG dans la nouvelle Région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, démarre très fort. Ça ne surprend personne. Puis, c'est un défilé pratiquement ininterrompu de "Colombier"… "Colombier"… "Colombier". Jacques Colombier est la tête de liste du Front national. Certains visages se crispent. L'atmosphère s'alourdit. Le maire finit d'égrener les noms. Quelques voix de plus pour Alain Rousset. Trop peu : Le FN enregistre 15 voix, le PS-PRG 13. Virginie Calmels, la protégée d'Alain Juppé, est dans les choux (4 voix). Pour la première fois, dans mon village, le Front national mène la danse. Pourtant, ici et dans le canton, il n'y a pas d'émigrés, pas de grandes barbes, pas de femmes voilées. Personne ne se plaint de problèmes de sécurité, ni de dégradations de bâtiments. Ah oui, il y a eu déjà un vol de tondeuse et ces deux jardinières disparues un soir d'été ! C'est loin.   Une jeunette  Contrairement à l'habitude, les documents administratifs sont remplis dans un total silence. Un conseiller municipal me glisse à l'oreille : "Celle que tu vois remplir les cases, c'est une candidate du FN". J'ignorais que cette belle fille, de 20 ans à peine, figurait en sixième position sur la liste deux-sévrienne du Front national. D'ailleurs, c'est la première fois que je la vois. Elle ne doit pas venir souvent ou alors, c'est moi qui ne suis plus assez présent. J'ai peut-être mon explication : elle a su convaincre son entourage de voter pour Marine Le Pen. Ça ne me rassure pas quand même. Il y a déjà eu des votes FN dans le passé, mais 4 ou 5 seulement. Les bénévoles ont fini leur vaisselle. Ils apprennent les scores. La plupart font la grimace. Sincèrement ? C'est un peu le problème dans les petites communes : les gens n'osent pas afficher leurs opinions comme en ville. Le FN peut se glisser sans bruit dans l'urne.  Un ami apiculteur s'approche de moi : "Cela ne changera pas grand-chose dans nos villages. C'est Bordeaux qui va tout récupérer". On se console comme on peut.   Patrick Béguier est journaliste et écrivain.