François Hollande et les réformes : la leçon de Machiavel

  Petit exercice ! Machiavel avait donné ces conseils au "prince" :  " Il faut exécuter toutes les cruautés en bloc pour n'avoir pas à y revenir tous les jours, car les cruautés moins longuement ressenties paraissent moins amères, offensent moins… Cruautés au contraire mal pratiquées, celles qui traînent, se renouvellent et, peu nombreuses au début, se multiplient avec le temps au lieu de cesser ! Les sujets perdent alors tout sentiment de sécurité, sont rongés par une continuelle inquiétude constamment fouettée. Non seulement le prince ne peut compter sur eux, mais il est toujours obligé de tenir le couteau en mains, ce qui finit par tourner mal". Remplaçons maintenant le mot "cruautés" par le mot "réformes" et nous avons la problématique de notre prince élyséen. Remarquons, au passage, que cet échange est moins curieux qu'il n'y paraît : les sujets français, pris par catégorie ou profession, trouvent toujours que la réforme qui s'applique à eux est injuste, donc cruelle.    François Hollande n'a pas le choix. Il n'a plus la confiance, il lui reste le courage. Or, hier soir, il s'est contenté de recycler les annonces passées, de ressortir de vieilles recettes - ce qui ne veut pas dire forcément qu'elles soient inefficaces (les emplois aidés, par exemple) -, de proposer des réformettes pour boucher ici ou là des trous trop voyants d'absurdité économique ou d'injustice sociale. Les Français veulent plus, plus fort ! Ils sont conscients, en dépit de leur propension à la critique permanente, des dangers que court leur pays dans un monde de plus en plus féroce au plan économique, de plus en plus instable et imprévisible au plan international. Ils voient les effets des réformes accomplies dans les États voisins. Ils sont fatigués du manque de résultats dans la lutte pour l'emploi, effarés que les efforts fiscaux qu'ils ont dû accomplir depuis plusieurs années n'aboutissent à aucune réelle amélioration de nos comptes publics.   À cheval !   Puisqu'il a, selon sa propre expression, le "cuir tanné", qu'il fonce dans les réformes sabre au clair, ce prince que d'aucuns jugent déchu alors qu'il a encore plus de deux années devant lui ! Manuel Valls est déjà sur son cheval et n'est pas du genre à fuir devant l'adversaire. Qu'il en profite ! Mais voilà : François Hollande a un problème de personnalité ! Pendant trop longtemps, il s'est nourri au sein d'une idéologie socialiste figée dans l'histoire. Trop souvent comme premier secrétaire du PS, il s'est livré à de difficiles exercices de compromis, d'équilibre. Il ne parvient pas intellectuellement à s'en libérer. Il donne, il reprend. Il affirme, il hésite, il dément, il change en douce... Tout le monde s'y perd. Lui aussi peut-être ! Pourra-t-il enfin se réformer lui-même ? Autre problème : qui derrière le président et son premier ministre ? La couverture parlementaire s'est effilochée au fil des mois. Comment affronter les inévitables mouvements de protestation, voire de révolte, provoqués par une ferme volonté de réforme avec les maigres troupes qu'il leur reste. ? La majorité elle-même pourrait être simplement relative après le départ de Pierre Moscovici pour Bruxelles. D'où les clins d'œil appuyés de Manuel Valls vers les centristes, comme à Pau, jeudi matin, avec François Bayrou. Pourront-ils enfin créer une dynamique politique ?   Attendons !  Une certitude. Si François Hollande parvient in extremis à renverser le cours de la bataille, il entrera dans l'histoire.  Peut-être même pourra-t-il ensuite passer à l'autre leçon de Machiavel : "Les bienfaits, à l'inverse (des cruautés), doivent se succéder lentement, s'échelonner pour être mieux savourés"…   Patrick Béguier est journaliste politique. Il est le conseiller éditorial de Paris Dépêches.