J’emporterai le feu, de Leïla Slimani
Publié le Par Pascal Hébert
l y a trois ans, Leila Slimani nous laissait sur le bord de la route avec le deuxième tome de sa trilogie du "Pays des autres". Elle nous revient avec le troisième. Dans "J’emporterai le feu", Leïla Slimani se penche sur les enfants de la troisième génération de la famille Belhaj : Mia et Inès. Une nouvelle épopée qui nous renvoie aux années 80 et 90.
Dans un Maroc qui tend vers une modernité assumée, la famille Daoud fait plutôt partie des privilégiés. Aïcha est médecin gynécologue dans une clinique et Mehdi à la direction d’une banque. Leur liberté, même toute relative dans un pays sous surveillance, passe par une indépendance financière que n’oublieront pas les deux fillettes. Élevées dans un certain confort, éloignées de la religion et même de l’arabe qu’elle baragouine, Mia et Inès ont leur tempérament et leurs fragilités. Dans un pays où les traditions sont bien ancrées, Mia et Inès se heurtent aux préjugés de ceux qui veulent bien voir ce qui les arrange.
L’arrivée d’Inès dans la cellule familiale ne passera pas comme une lettre à la poste. Jalouse de sa petite sœur qui la prive de l’exclusivité de sa maman, Mia se construit dans une sorte de rébellion à tous les étages. Quant à Inès, elle suit le mouvement de la vie de cette famille que rien ne semble pouvoir inquiéter.
En construisant son récit sous l’angle de ses personnages, Leïla Slimani nous révèle les parts d’ombre de Mehdi, Aïcha, Mia et Inès. Car tout n’est pas rose dans la vie de cette famille pourtant en vue dans la communauté marocaine. Mehdi, très respecté dans sa banque, n’aura pas le temps de savourer son succès. Après avoir redressé la barre de sa société, des rumeurs à son sujet sont arrivées jusqu’au roi qui a scellé son sort. Victime de ragots et de propos diffamatoires, Mehdi doit quitter son poste, son train de vie et sa place dans la société. De son côté, Aïcha doit s’occuper, entre autres, des femmes marocaines maltraitées par leur mari. Au plan familial, elle suit de près ses deux filles et tente de faire remonter la pente à Mehdi au fond du trou.
Mia est une élève brillante mais qui a bien du mal à se fondre dans le moule du monde des adolescents. Elle a quelques copains mais sans plus. Au cours de cette période, elle découvre qu’elle en pince pour une élève de sa classe. L’amour naît sous les traits de cette camarade. La passion la pousse à lui écrire ses sentiments. Malheureusement pour Mia, cet amour n’est pas réciproque. Son homosexualité mise au grand jour la contraint à se replier un peu plus sur elle avant de pouvoir vivre à visage découvert à Paris pour ses études supérieures.
Quant à Inès, son sex-appeal ne laisse pas indifférent les garçons de même que les hommes mûrs. Attirée par le désir, elle tombera dans les bras de son professeur de lettres. Ces deux-là vivront un amour dévorant mais sans espoir. C’est Inès qui mettra un terme à cette relation basée sur un délicieux interdit. La jeune fille rejoindra sa sœur à Paris pour suivre ses études de médecine.
Commencée dans les années 40, avec Mathilde, une Alsacienne, qui tombe sous le charme d’un Marocain enrôlé dans l’armée française, cette trilogie nous fait voyager jusqu’à Meknès où le couple s’installe pour cultiver la terre. La suite nous fait remonter le temps et l’histoire d’un pays à travers trois générations confrontées chacune à son désir et à des choix. Leïla Slimani nous embarque dans un Maroc en proie à la montée de l’islam répondant à une modernité qui fait peur. Avant de mettre un point final, la romancière passe en revue dans les dernières pages de cet excellent roman tous les protagonistes de cette saga.
Pascal Hébert
"J’emporterai le feu", de Leïla Slimani. Editions Gallimard. 430 pages. 22,90 €.