Joël Favreau, guitariste : « Moustaki, c’était un curieux de chaque situation »
Publié le Par Pascal Hébert
Auteur, compositeur, interprète et guitariste de Georges Moustaki et Georges Brassens, Joël Favreau a accompagné pendant plusieurs années l’auteur du Métèque. Il participera le 3 mai à un concert hommage à Georges Moustaki, organisé à l’Olympia par sa fille Pia.
Dans les années 60 et début 70, Joël Favreau a donné le meilleur de lui-même à Moustaki, disparu il y a dix ans, en soulignant les douces mélodies de ses chansons avec une seconde guitare intenable. Entouré de l’excellent violoncelliste Jean-Charles Capon, de Michel Gaudry à la basse et de Catherine Le Forestier, choriste, Georges Moustaki a pu compter au cours de ces années sur la note jolie de Joël Favreau. L’album Bobino 70 est bien là pour en attester.
- Comment as-tu connu Georges Moustaki ?
Je l’ai connu par le biais de mon frère, qui était barman dans une boîte à Saint-Germain-des-Près. Je l’ai fréquenté de loin en loin comme ça dans les années cinquante. Il m’appelait parfois pour faire une radio comme "Pop Club", de José Artur. Et puis, plus souvent. Je lui dois mon premier travail rémunéré. Je l’ai suivi en 1968. Nous allions dans les usines en grève où il chantait.
- Tu as été le premier guitariste accompagnateur de Moustaki. Explique nous comment tu as travaillé avec lui...
Le Métèque est arrivé et des dates de concerts ont suivi. Moustaki m’a demandé de venir avec lui. Il m’a dit : tu seras mon premier violon. Nous sommes partis en petite formation et cela s’est ensuite étoffé. Cela a duré comme ça pendant quelques années. En fait, c’était très improvisé. Il n’y avait pas de consignes. Je jouais à l’instinct. Il n’y avait pas de discussion, je faisais ce que j’avais envie de faire. De temps en temps, je poussais un peu les chœurs avec Catherine Le Forestier, sa choriste de l’époque.
- Quel souvenir gardes-tu des concerts ?
J’en garde le souvenir d’un très grand bonheur de participer à ses chansons et de faire quelque chose avec. C’était une période bordélique qui était bien car on se faisait notre place sans aucun problème. C’était très harmonieux. C’était vachement sympa ! Dans les premiers concerts, Georges était en première partie de chanteurs plus équipés matériellement que lui. Et lui, il arrivait comme ça peinard et les gens étaient heureux. J’ai même vu, lorsque c’était Régine la vedette, la moitié de la salle partir lorsque Georges avait fini. Quand les organisateurs nous voyaient arriver avec nos guitares, ils attendaient le reste de notre matériel mais on n’avait rien de plus.
« En fait, il travaillait énormément »
- Qu’est-ce que Moustaki t’a appris ?
Il m’a appris que même lorsque la période n’est pas favorable - car nous étions à l’époque des yéyés - il y avait de la place pour quelque chose d’acoustique et qui ne faisait pas de ‘‘terrorisme’’ sur scène. On pouvait chanter sans avoir de l’artillerie lourde derrière. J’ai également fait sa première partie. Il avait une grande générosité de ce côté-là. Il donnait vraiment un coup de main. Je peux regretter de l’avoir quitté au moment où il a chanté dans des pays que je rêvais de découvrir.
- Tu as accompagné Brassens jusqu’à sa mort. Peux-tu comparer Brassens et Moustaki, sachant que ce dernier ne cachait pas qu’il considérait son aîné comme son maître ?
C’est difficile car ils allaient dans des directions différentes. Les deux avaient un style d’écriture qu’il faut reconnaître avec plus d’exigence du côté de Brassens qui s’y consacrait complètement. Moustaki, quant à lui, prenait le temps de vivre à côté. Brassens vivait dans ses chansons. Je n’étais pas un intime de Brassens et je regrette aujourd’hui de n’avoir pas profité de sa présence car j’ai des questions que j’aurais bien aimé lui poser maintenant. Je n’ai jamais voulu m’imposer auprès de Brassens. J’en ai vu tellement qui ont voulu poser avec lui sur la photo… Je ne voulais pas l’emmerder. C’était sans doute un respect trop excessif.
- Comment situes-tu Moustaki dans la chanson française ?
C’était quelqu’un qui bossait beaucoup, contrairement à la légende de paresseux qu’il traînait à mon avis volontairement pour ne pas être dérangé. Mais j’ai été victime de cette facette car je croyais innocemment qu’il n’y avait pas besoin de beaucoup travailler pour faire un métier comme ça. Mais en fait non. En fait, il travaillait énormément.
- Quelle est ta chanson préférée et pourquoi ?
C’est tout simple. C’est Eden Blues car c’est la première que j’ai apprise et que j’interpréterai début mai au cours de la soirée hommage à l’Olympia. C’est un titre qui donne vraiment envie de chanter avec lui. Je ne l’ai jamais perdue de vue car c’est sans doute ma première expérience à la guitare. Il y a beaucoup de chansons de Moustaki avec lesquelles on a envie de participer. Je lui ai même dit un jour que cela me faisait chier de l’écouter en concert sans pouvoir l’accompagner parce que j’avais envie d’être sur scène avec lui. Il a pris ça comme un compliment. Ce qui n’était pas faux.
« Il gardait son calme dans l’hystérie collective »
- Quelle relation avais-tu avec lui en dehors de la scène ?
On ne se voyait pas très souvent. On partageait la musique lorsque l’on se retrouvait pour les concerts. Moustaki, je l’aimais bien. Même lorsque je ne l’accompagnais plus, il m’a tendu le main.
- Que retiens-tu de Moustaki, le poète et l’homme ?
En tant que poète, je ne sais pas... car la poésie, j’ai toujours eu de la méfiance par rapport au terme. Il écrivait de chouettes chansons que j’aime beaucoup. En tant qu’homme, c’est difficile, car je ne le connaissais pas bien. Avec lui, j’ai fait une erreur. Je l’ai pris comme un exemple, presque comme un maître parce que je savais que je n’étais pas fini. J’avais besoin de quelqu’un qui m’aide à me développer. J’étais impressionné par sa sérénité lorsque nous allions jouer dans des usines en grève en 68, où il y avait plein de gens qui pétaient les plombs. J’étais vraiment impressionné par sa tranquillité au milieu de ce chaos. Il gardait son calme dans l’hystérie collective. Là, j’ai cru que c’était un maître, mais non. En fait, c’était un curieux de chaque situation. Il avait une grande maîtrise. C’était un spectateur non investi. Il aimait bien profiter des choses. Il avait une remarquable intelligence.
Propos recueillis par Pascal Hébert